Samba Oumar Fall, Journaliste-Écrivain, auteur de « Mortelles solitudes » et « Benjamin » : L’appel des abîmes

Partant d’une histoire vraie, l’écrivain-journaliste met en scène dans « Mortelles solitudes » (L’Harmattan, 137 pages), son troisième roman déjà, une femme au destin tragique. Ayant perdu son mari et ses cinq enfants, tous engloutis par la mer, l’héroïne, Seynabou Fall, n’entrevoit qu’une issue. La mort. Un drame qui sert de prétexte à l’auteur pour explorer l’humaine condition dans sa face la plus cruelle.

Avec Samba Oumar Fall, c’est l’art de tenir plusieurs plats simultanément sur le feu. Il vient de nous sortir de sa cuisine littéraire deux romans importants : « Mortelles solitudes » et « Benjamin ». La performance est d’autant plus remarquable que c’est la deuxième fois que le journaliste-auteur publie une paire romanesque, après « La misère des temps » et « Un amour au fond de l’océan » en 2013. Ce qui le place désormais dans le cercle restreint des écrivains confirmés. Il n’est pas difficile d’arriver au sommet – une première publication étant généralement un coup d’essai –, c’est y rester qui est difficile, dit-on…

Parlons de « Mortelles solitudes ». Le personnage principal, Seynabou Fall, a quitté son Kayar natal à l’âge de 15 ans pour rejoindre son époux Waly Diagne, de 25 ans son aîné, à Guet Ndar, un populeux quartier de pêcheurs à Saint-Louis. La jeune femme, qui rêvait de faire des études de médecine pour devenir sage-femme, devra vite déchanter et se contenter du rôle d’épouse rangée, avec cinq bouts de bois de Dieu – tous des garçons – en 29 années de mariage. Sa vie va virer au cauchemar. La mer boulimique, non contente de lui avoir pris son époux et ses quatre enfants, va avaler, quatre ans plus tard, son benjamin, Dabakh, l’unique fils qui lui restait. Torturé, assassiné, puis jeté en mer par son oncle Mademba, à qui il avait été confié. 

Frappée de plein fouet par ce destin cruel, Seynabou Fall se réfugie dans le mutisme et la solitude, recluse dans sa maison. « Complètement désespérée, elle vivait sans trop croire au lendemain et chaque jour, elle s’enfonçait davantage dans l’abîme ». Au-delà de Seynabou, c’est tout un quartier qui est plongé dans le deuil et la solitude, avec des centaines de disparitions chaque année en haute mer, en plus de subir régulièrement la furie des eaux. Féconde et nourricière, la mer peut aussi être impitoyable. Une tragédie à laquelle les pêcheurs de Guet Ndar ont fini par s’habituer. A noter l’attrait de l’auteur pour le grand bleu. Le thème de la mer revient constamment dans ses romans. La réponse est sans doute à rechercher dans les origines « thioubalo » (lignée de pêcheurs) de Samba Oumar Fall.

Destins brisés …

Avec un souci du détail et un réalisme cru, le romancier nous plonge dans l’univers de Guet Ndar. Dans ce mythique quartier de pêcheurs, où promiscuité et débrouille font bon ménage, le destin est tout tracé dès la naissance. Les garçons sont attirés « comme de l’aimant par la mer », les filles données en mariage au seuil de l’adolescence. Ce roman est aussi, d’une certaine façon, un chant d’amour à l’endroit de la ville tricentenaire, ses principaux personnages… Ce n’est pas une première. Les trois précédents romans de Samba Oumar ont pour cadre l’ancienne capitale de l’Afrique occidentale française. C’est en cela qu’il peut être valablement considéré comme une figure contemporaine de la littérature saint-louisienne.

Dans ce livre, Samba Oumar Fall explore l’humaine condition dans ses aspects les plus tragiques. Le deuil est omniprésent. Les absents sont les plus présents. Les personnages rient peu, ou pas du tout. Le suspense est haletant. Des destins brisés, des fiançailles avortées, des parents désorientés, un témoin en fuite… Les personnages sont entraînés dans un tourbillon d’événements dont l’issue ne pouvait qu’être fatale. 
Une fois le meurtre de son fils élucidé, grâce au témoignage décisif de Babacar Fall, le fugitif qu’elle est allée dénicher à Rosso Sénégal, Seynabou Fall, vaincue par tant d’épreuves et n’ayant plus de raisons de vivre, en arrive à l’acte ultime. Le suicide. « Elle avait mûrement réfléchi et avait fini par prendre la ferme résolution de mettre fin à ses jours […] Seynabou avança encore et encore. L’eau lui arriva à la cheville, puis aux genoux […] L’eau lui arriva à l’épaule, au cou et bien vite elle ne sentit plus ses pieds sur la terre […] En un battement de cils, Seynabou fut engloutie comme dans un trou en pleine mer. » Comme dans ses trois précédents romans, Samba Oumar fait mourir son héros. Par pessimisme sur la vie ? Une chose est sûre, on ne sort pas indemne de la lecture de ce roman.

Texte de Seydou KA – Le Soleil (édition mardi 12 mars 2019)


Invité de l’émission Dans l’Oeil de- de la grande maison d’édition L’Harmattan, l’auteur Samba Oumar Fall revient sur son parcours, ses expériences, son goût à la littérature et ses motivations qui le poussent à tremper sa plume dans l’encre à chaque fois que de besoin. Samba Fall a déjà publié trois autres ouvrages dont deux en 2013.

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