RETRAIT DES ENFANTS DE LA RUE : Dakar veut se vider de ses talibés

Après les multiples rapts d’enfants notés dans le pays, l’Etat a relancé le processus de retrait des enfants de la rue. L’opération, dirigée par la préfecture de Dakar, en collaboration avec le ministère de la Bonne gouvernance et de l’Enfance et celui de l’Intérieur, a commencé le vendredi 30 mars 2018.

L’ opération de retrait des enfants de la rue a été déclenchée après les multiples rapts et kidnappings d’enfants notés dans le pays. En cette matinée de samedi 31 mars, certaines rues de Dakar sont vidées de leurs talibés. Au rond-point Fass, en face de l’université Ahmadou Hampathé Ba, l’ambiance est inhabituelle pour les habitués. Ce carrefour, réputé pour ses monstrueux embouteillages et ses nombreux petits mendiants, est calme et la circulation assez fluide.

L’opération de retrait des enfants de la rue, déclenchée la veille, a laissé ses traces. Les quelques talibés que l’on aperçoit çà et là passent en toute discrétion. “Hier, la police les raflait, c’est pourquoi, aujourd’hui, ils ne sont pas venus mendier. Et ceux que l’on voit marchent en pressant le pas pour rejoindre leur ‘daara’ à Grand Dakar. Ils ont peur d’être pris par la police’’, nous explique une mendiante qui fréquente les lieux depuis plus de dix ans. Handicapée, elle souhaite que l’Etat fasse la même chose pour les mendiants bien portants qui, selon elle, font de la mendicité un métier, alors qu’elle ne devrait être permise que pour les personnes en situation de handicap.

Selon François Raul Latouf, Président de la Coalition nationale des associations en faveur des enfants (Conafe)-Sénégal, l’opération a permis, rien que dans la matinée du vendredi (30 mars 2018), de retirer 42 enfants de la rue. Ils ont ensuite été conduits au centre Guindy pour recueillir des informations concernant leur provenance, leur identité et l’adresse de leurs parents. Certains ont ensuite été envoyés dans des structures d’accueil comme les internats de la zawiya omarienne pour les enfants talibés.

D’autres ont été renvoyés dans leurs familles ou sont restés au centre. Dans ce centre, lieu d’accueil des enfants raflés par la police, l’affluence est assez importante. Des parents à la recherche d’enfants disparus l’envahissent pour vérifier s’ils n’ont pas été envoyés ici. Parmi eux, une dame attire l’attention.

Le visage crispé, un sachet en plastique contenant du lait et des biscuits à la main, les sandales presque déchirés, les yeux plongés dans le vide, elle essaye, en vain, de négocier avec le personnel de garde pour retirer son enfant. C’est un de ses jumeaux qui a été raflé dans la rue et conduit au centre.

Depuis lors, le deuxième, resté à la maison, est très affecté. “Son jumeau n’accepte pas de manger depuis hier. Il est tourmenté et ne cesse de réclamer son frère’’, raconte-t-elle, la voix à peine audible, les larmes aux yeux. Face à sa requête, les gérants n’ont pu que lui proposer d’emmener l’autre jumeau au centre pour voir son frère.

A nos questions, en l’absence de leur supérieur, le personnel de garde est resté muet et nous a renvoyés au ministère de la Bonne gouvernance et de la Protection de l’Enfance. Mais c’est aussi la loi de l’Omerta dans ce département dirigé par Ramatoulaye Guèye Diop. Après de multiples tentatives, nous n’avons pas pu avoir leur avis sur l’opération de retrait des enfants de la rue.

Du côté de la société civile, le président du Conafe, François Latouf, salue la mesure prise par le gouvernement et espère qu’elle permettra de retirer définitivement les enfants de la rue. Cependant, pour lui, l’efficacité de l’opération reste problématique. Cela à cause de l’insuffisance des moyens alloués. “Il n’y a pas de travailleurs sociaux suffisants dans l’équipe, bien que l’Etat ait fait des efforts dans ce sens. Pour plus d’efficacité, il faut plus de travailleurs sociaux pour encadrer l’opération, en association avec la police, les agents de sécurité de proximité, les services départementaux de développement communautaire. Il faut aussi associer les ministères de la Santé, de la Justice, des Collectivités locales et de l’Intérieur’’, estime-t-il.

Une mesure évènementielle

Intervenue quelques jours après les enlèvements et meurtres d’enfants notés dans le pays, cette opération lancée par le gouvernement est cependant qualifiée, par certains citoyens rencontrés, de mesure évènementielle. Elle est considérée comme une réaction des autorités qui, à chaque fois que les enfants de la rue sont en situation de malheur, essayent de réagir pour calmer le phénomène, en ordonnant des opérations de retrait sans prévoir des mesures d’accompagnement. C’était le cas avec la première opération qui s’est déroulée après l’incendie survenu à la Médina et qui avait occasionné la mort de 9 enfants talibés le 3 mars 2013. Ce sentiment est partagé par certaines associations de défense des enfants de la rue.

C’est le cas de Dr Khalia Haydara, Présidente de l’association Les Oliviers. “Je prie et espère profondément que cette nouvelle tentative ne soit pas juste un moyen pour apaiser le peuple qui a beaucoup souffert, dernièrement, des meurtres et enlèvements de nombreux enfants. La première phase de retrait a été un véritable échec. Comme nous le constatons aujourd’hui, les enfants sont encore dans les rues, peut-être même plus nombreux’’, regrette-telle.

Pourtant, selon Mama Guèye, spécialiste de la protection de l’enfance, l’Etat a le devoir de protéger les enfants en situation de rue, indépendamment des évènements. “L’article 19 de la Convention des droits de l’enfant (Cde) stipule que les Etats parties doivent prendre toutes les mesures législatives, sociales et éducatives appropriées pour protéger les enfants contre toute forme de violence, d’atteinte à la moralité, de maltraitance, d’exploitation, etc.’’, explique-t-il.

Cependant, le spécialiste reste dubitatif sur l’efficacité de la démarche de l’Etat. “Je ne trouve pas cette mesure efficace, parce qu’en matière de protection de l’enfant, il s’agit d’analyser tous les facteurs et les attaquer dans leur globalité. Il faut une approche systémique qui prend en compte l’enfant dans sa globalité. Un enfant retiré de la rue doit suivre tout un processus pour intégrer sa famille d’origine. Cette mesure ne saurait être efficace que lorsque les enfants ont été réinsérés socialement dans leurs familles ou dans une structure éducative’’, détaille-t-il avant de conclure que l’Etat doit aussi revoir la situation des enfants charretiers, des jeunes filles vendeuses de “nana’’ (feuilles de menthe), d’eau et des mineures domestiques qui subissent souvent toute forme de violence.

  • EnQuete
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