Reportage – Chefferie traditionnelle : « Ardo » Goudoudé, un legs bien préservé au Fouta

Grand foyer historique qui a rayonné spirituellement, culturellement et économiquement pendant plusieurs siècles, le Fouta a su conserver bien des traditions. À Goudoudé Diobé (commune de Dabia, département de Matam), la population reste encore attachée à certaines coutumes comme la chefferie traditionnelle qui y joue un rôle fondamental dans la vie sociale. Dans cette localité, le « Ardo » qui tient son pouvoir de la communauté, occupe une place centrale et son intronisation demeure encore vivante. À ce jour, Goudoudé a connu 23 « Ardo », dont le dernier, Samba Ka, a été investi officiellement dans ses fonctions le 16 septembre 2016.

Ce jeudi 31 août est un jour exceptionnel à Goudoudé Diobé, village de la commune de Dabia, département de Matam. Les populations de cette localité s’apprêtent à accueillir leur « Ardo », le guide chargé de gérer les intérêts de sa communauté, mais aussi le garant de la bonne coexistence entre ses membres. Elles sont mobilisées dans le respect de la tradition pour le recevoir. Sa maison est devenue, en l’espace d’un jour, le lieu de convergence des notables, wambaabé (griots-musiciens) et autres hôtes venus de Thilogne et des villages environnants.

Dans cette partie du pays, l’hospitalité constitue un trait de caractère des populations qui demeurent très attachées à leurs traditions. Et c’est volontiers qu’ils nous ont fait voyager dans le temps pour nous retracer l’histoire du village qui remonte à plusieurs siècles, nous parlent des pratiques culturelles depuis sa fondation.

Bercés par les sons mélodieux du hoddu (sorte de luth à quatre cordes) distillés par Doudou bambaado Ba, les notables fouillent qui dans leurs mémoires, qui dans leurs souvenirs. Pas facile de parler des origines de Goudoudé Diobé qui traîne derrière elle une histoire plus que centenaire.

Mais, nous dit-on, les premières migrations se sont faites à partir du Djolof par les fulbés dienguelbés, futurs habitants de Goudoudé Diobé. C’est après moult pérégrinations qu’ils se sont installés à Karadjé Koly Seli avec les premiers habitants de Thilogne que sont les Dia et les Diagne. C’est d’ailleurs ce qui explique les bonnes relations qui existent entre le « Ardo » et les « Diagaraf », qui fait partie des hommes de confiance du chef traditionnel. Par la suite, les gens ont commencé à venir de partout et Thilogne commença à connaître un boom démographique extraordinaire. Les peuls, qui étaient des éleveurs à la recherche de quiétude, sont alors remontés sur Goudoudé où il y avait beaucoup de mares où abreuver leur bétail. Ils finissent par s’installer définitivement.

 

23 « Ardos » ont régné depuis la fondation du village

Goudoudé Diobé, ce village plus que centenaire a su préserver son histoire comme son charme. Très attachées aux valeurs et traditions, les populations perpétuent encore des coutumes ancestrales comme la chefferie traditionnelle qui joue un rôle fondamental dans la vie sociale de la localité. Ici, le « Ardo » est au sommet de la hiérarchie et il exerce son pouvoir sur toute la population et sur toutes les terres. Investi de pouvoirs mystiques, sa fonction n’est pas qu’honorifique. Dans certains domaines aussi cruciaux que la résolution des conflits sociaux ou le maintien de la paix sociale, ce guide placé à la tête de la communauté et investi, selon la tradition, se substitue souvent à l’État. Selon Samba Demba Ka, le « Ardo » est le responsable de tout le territoire hérité de leurs ancêtres, qui part de Liw à Larawel Walo. « Tout ce terroir appartenait aux Diobés. Les terres cultivables étaient sous l’autorité du « Ardo ». Il pouvait en donner à n’importe qui pour exploitation. Il disposait lui-même de sa part des terres dénommée « Kolagal Ardo ». Il redistribuait les récoltes aux nécessiteux », souligne-t-il.

De la fondation de Goudoudé Diobé à aujourd’hui, la communauté traditionnelle a connu 23 chefs qui furent tous des responsables ayant eu une influence considérable et une grande popularité. « Ardo » Yoro Samba Hadé serait, selon les témoignages, le premier à avoir embrassé le titre de « Ardo », suivi de Kaawel Amadou, puis de Mamadou Kaawel. Des 23 « Ardo », seul Bocar Kalidou a réussi la prouesse d’être intronisé à deux reprises. Après Hamady Bocar et Samba Racine, Demba Bocar fut le premier « Ardo » intronisé après les indépendances. Mais le record de longévité est détenu par Abdoul Saïdou qui a régné de 1962 à 2011, soit 49 ans, avant de passer le flambeau à Samba Demba. Ce dernier, intronisé en 2011, démissionne de son propre chef après 5 ans de règne. Samba Ka est alors investi de 100 % de la confiance de la population de Goudoudé Diobé et devient le 23e « Ardo » de la localité. Il est intronisé dans la pure tradition le 16 septembre 2016, au cours d’une grande cérémonie qui a attiré des milliers de personnes et a reflété le principe de l’unité dans la diversité.

Malgré la modernité, la fonction sociale du « Ardo » n’a véritablement pas changé, selon Samba Demba Ka. « Même si elle est appelée à changer, compte tenu des exigences de la modernité et des défis auxquels sont confrontés les populations, le «Ardo » doit davantage s’investir et s’impliquer pour satisfaire les préoccupations des populations qui sont sous son autorité », pense Samba Demba Ka qui se réjouit de l’esprit d’ouverture et de partage de son successeur qui implique tout le monde dans la gestion de la cité.

Intronisation de Thilogne à… Goudoudé
Si l’on se réfère à l’histoire traditionnelle du village de Goudoudé Diobé, racontée par les notables, l’intronisation du « Ardo » qui puise ses origines dans une tradition plusieurs fois séculaire, se faisait à Thilogne, par l’entremise de Thierno Mollé, une autorité religieuse très respectée. Celle-ci administrait politiquement ce village, ancienne capitale politique, économique et religieuse du Bosséa jusqu’à son érection en commune en 1996. C’est dans cette localité, chez les Lydoubés que l’on procédait à la pose de turban du nouveau chef, explique Samba Demba Ka, « Ardo » sortant. « On quittait Goudoudé Diobé la veille de l’intronisation, dans l’après-midi, et on passait la nuit à Thilogne chez Jagaraf Badel, le plus grand notable des « Ceeddo ». Et le lendemain, Thierno Mollé procédait à l’intronisation », renseigne-t-il. Toute la délégation de « Ardo » Goudoudé est logée et nourrie par Jagaraf Badel, chef des « Ceedo » de Thilogne, précise Samba Jagaraf de Goudoudé Diobé, bras droit du « Ardo ». L’histoire retiendra que Samba Ka a été le premier « Ardo » à être intronisé à Goudoudé Diobé. Les notables du village ne sont pas diserts au sujet de ce transfert. Le « Ardo » sortant, Samba Demba, dit en ignorer les raisons tout comme il ignore la période à laquelle remonte l’intronisation des « Ardo » dans la localité.

Pour le bambaado Sada Hamady Ifra Ba, cette intronisation à Goudoudé Diobé est une première. « Certains « Ardo » ont été intronisés à Thilogne et d’autres à Diorbowol (Mauritanie), mais « Ardo » Samba Ka a sonné la révolution en se faisant introniser à Goudoudé Diobé », note-t-il. Toutefois, précise le vieux Samba Jagaraf, Thierno Mollé de Thilogne, Jagaraf Badel (le chef des « Ceeddo » de Thilogne) et « Ardo » Diobé entretiennent toujours de très bons rapports de voisinage et vivent en harmonie. « Ce sont des rapports amicaux et lointains fondés sur la sincérité, le respect et la considération mutuels », témoigne-t-il. Aujourd’hui, relève-t-il, l’intronisation du « Ardo » a pris une autre dimension avec la présence de religieux comme les descendants du Sceau des prophètes (Psl).

Un « Ardo » au service de sa communauté

Les différents « Ardo » qui se sont succédé ont, chacun, joué leur partition. Mais « Ardo » Samba Ka semble sortir du lot, selon les notables de Goudoudé Diobé. Ils sont unanimes. Samba Ka, disent-ils, est un patriote, un homme très engagé, qui a à cœur le bien-être de sa communauté. D’ailleurs, témoignent-ils, il a toujours investi dans le village avant même qu’il ne devienne « Ardo » et dans quasiment tous les domaines. Le fait qu’il soit un intellectuel, soutiennent certains, constitue un atout considérable pour la localité.

Thierno Bayal Ka, adjoint de l’imam du village, présente « Ardo » Samba Ka comme un homme intègre ayant une probité exemplaire et animé d’une foi inébranlable. « C’est un chef engagé, honnête et très ouvert aux problèmes des populations. Quand « Ardo » Samba Demba Ka a démissionné, on a pensé à lui pour assurer la charge sans même lui demander son avis. Il l’a accepté sans réserve et aujourd’hui, on ne regrette pas ce choix. Travailleur acharné, actif, disponible et dévoué, il a toujours apporté en toute circonstance sa collaboration inestimable. Et il entretient de bonnes relations avec tout le monde », fait-il savoir. Son souci, nous dit-il, c’est l’unité de sa communauté. « Il s’implique dans toutes les activités du village et fait toujours de bonnes actions dans la discrétion la plus totale», indique-t-il.

Générosité

Pour les uns comme pour les autres, « Ardo » Samba Ka est, depuis toujours, préoccupé par le développement de Goudoudé Diobé qui embrasse des domaines comme la santé, l’éducation, l’infrastructure, l’agriculture, l’eau, l’énergie, etc.

Sa générosité dépasse même Goudoudé Diobé. À Taabe, village situé à quelques encablures de Thilogne, et dont une partie est installée sur les terres de Goudoudé, les bienfaits du « Ardo » sont loués par les populations, représentées par Demba Hamady Diop. « Nous vivons en parfaite harmonie avec les populations de Goudoudé Diobé depuis notre installation sur leurs terres. Ils nous ont adoptés, et partagent tout avec nous. Depuis « Ardo » Abdoul, on utilise leurs terres grâce à leur générosité », dit-il.

À Louguéré Bounenabé Diobé, ce hameau habité majoritairement par des Peuls qui se sont sédentarisés, les populations, originaires de Golléré, ont retrouvé le sourire. Samba Mamadou Diallo soutient que le forage de Goudoudé a réglé leur problème. « Pour abreuver notre bétail, on parcourait des kilomètres et on nous fixait une heure qu’on devait respecter. Avec le forage de Goudoudé, on abreuve notre bétail sans condition et on prend tout notre temps », se réjouit-il. De plus, indique-t-il, le nouveau « Ardo » implique leur village dans tout ce qu’il fait. Le constat est le même à Kiriré, village situé à 3 km de Goudoudé Diobé, Mamadou Alassane Barry soutient que leur soif a été étanchée grâce à la bonne volonté du « Ardo ».

 

Les wambaabés Sada Hamady Ifra Bâ et Doudou Bambaado Ba qui ont égayé l’assistance à travers des prestations de très haute facture n’ont pas tari d’éloges à l’égard de « Ardo » Samba Ka. Sur un air de fantang, poème mythique peul célébrant les héros de cette communauté, ils ont chanté les louanges de « Ardo » Samba Hamady Mamoudou Oumar Djiby Yoro Sally comme ils l’appellent affectueusement, retracé sa généalogie.

Pour Sada Hamady Ibra Bambaado, Goudoudé Diobé a la chance d’avoir à sa tête un guide exemplaire par sa piété, sa politesse, ses connaissances, sa courtoisie et sa générosité légendaire. « C’est un homme de consensus. « Il est doué, poli et généreux. Il a changé beaucoup de choses ici. Il est resté le même depuis qu’il est sorti de l’Ecole nationale d’administration (Ena). C’est un vrai don du ciel », dit-il.

L’arrivée du « Ardo », vers 18 heures, plonge Goudoudé Diobé dans une liesse indescriptible. Samba Ka a eu droit à un accueil digne d’un chef. Des cris de joie et des acclamations fusent de part et d’autre. De l’entrée du village jusqu’à son domicile, il est escorté par des cavaliers surexcités, une nuée de jeunes qui scandent son nom, des femmes qui applaudissent, chantent et dansent. Sa maison s’avère exiguë à l’occasion, envahie par une foule dense venue lui souhaiter la bienvenue, le saluer. Assailli par un groupe d’enfants, « Ardo » Samba Ka échange des poignées de mains cordiales avec les membres de sa communauté.

À l’affut depuis l’annonce de l’arrivée du chef, les wambaabés, ces artisans du verbe, entrent en jeu. Ils charment l’assistance à travers leur prestation, chantent la généalogie du « Ardo », l’exaltent. Le guide est bien de retour. Cet accueil chaleureux est la preuve que les populations de Goudoudé Diobé, malgré l’influence de la modernité, restent fondamentalement attachées à cet héritage que leur ont légué leurs arrières grands-parents.


Par Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes) et Mbacké BA (photos) – Le Soleil

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