Que deviennent les présidents africains déchus?

Toujours plus nombreux, les chefs d’Etat qui savent partir à temps, suivant les exemples de Léopold Sédar Senghor au Sénégal en 1980 ou Julius Nyerere en Tanzanie en 1985, démontrent à leurs pairs qu’il y a bien une vie après le pouvoir. En revanche, les présidents chassés par des coups d’Etat ou emportés par des révolutions ont des vies beaucoup moins confortables, en prison ou en exil, comme Zine el-Abidine Ben Ali ou Laurent Gbagbo. Tour d’horizon.

Les printemps arabes ont emporté en 2011 des présidents en poste depuis des lustres. Après 23 ans de pouvoir, de 1987 à 2011, en Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali, 80 ans, coule des jours tranquilles à Jeddah, en Arabie Saoudite. Son pays d’accueil lui aurait demandé, en échange d’un palais pour sa famille, d’une protection de l’armée et d’un soutien financier, de se montrer discret sur le plan politique et de ne plus se mêler des affaires de son pays. Ses avoirs ont été gelés par la Suisse, mais pas encore restitués comme prévu à l’Etat tunisien, en raison des complexités des dossiers juridiques.

Zine el-Abidine Ben Ali a tout perdu, certes, mais il s’en tire à bon compte. L’Arabie Saoudite, qui refuse de l’extrader, lui permet de vivre son exil en toute impunité alors qu’il a été condamné à de nombreuses peines de prison ferme par la justice de son pays dans le cadre de multiples procès pour détournement de fonds publics, vol et fraude qui lui ont été intentés par contumace. Les tribunaux militaires de Kef, Tunis et Sfax l’ont notamment condamné à quatre peines de prison à vie pour son rôle dans la répression sanglante du soulèvement de janvier 2011.

De son côté, Hosni Moubarak, 89 ans, ancien président égyptien, à la fois incarcéré et soigné à l’hôpital militaire Maadi du Caire depuis sa chute le 11 février 2011, en est sorti fin mars 2017 sur décision de justice. D’abord condamné à la perpétuité en 2012 pour la répression des manifestations de 2011 qui a fait 850 morts, il a été jugé en appel et la cour de cassation a finalement abandonné les chefs d’inculpation contre lui.

Il a par ailleurs effectué la peine de trois ans de prison prononcée contre lui en janvier 2016 pour le détournement de plus de 10 millions d’euros pour l’entretien de palais présidentiels. Condamné en même temps que ses deux fils à payer une amende de 15 millions d’euros, il a aussi dû rembourser 2,5 millions d’euros à l’Etat égyptien. Il reste interdit de sortie du territoire, une enquête se poursuivant sur son enrichissement illicite. Gelés, ses avoirs en Suisse n’ont pas été restitués à l’Egypte.

Exils plus ou moins dorés

Au sud du Sahara, plusieurs présidents déchus se tirent relativement bien d’affaire, dans des exils plus ou moins dorés. Blaise Compaoré, 66 ans, chassé du pouvoir par la rue le 30 octobre 2014 au Burkina Faso, a été accueilli par son voisin Alassane Ouattara, qui lui a permis de prendre la nationalité ivoirienne et de s’installer dans une villa cossue d’Abidjan, voisine de celle de l’ancien président Henri Konan-Bédié, dans le quartier Cocody-Ambassades. Cette résidence lui aurait été prêtée par Hamed Bakayoko, le ministre ivoirien de l’Intérieur.

Son procès par contumace s’est ouvert fin avril à Ouagadougou, pour la mort de 7 manifestants en octobre 2014, tandis qu’une autre procédure a été lancée pour faire la lumière sur son rôle dans l’assassinat, en 1987, de son compagnon d’armes Thomas Sankara, auquel il a succédé. Un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui, limitant ses possibilités de voyager, mais la Côte d’Ivoire ne se montre pas prête à l’extrader.

L’ancien président du Mali âgé de 68 ans, Amadou Toumani Touré, surnommé ATT, renversé par un coup d’Etat en mars 2012, a pris ses quartiers à Dakar, la capitale du Sénégal, qui lui a ouvert ses portes après sa chute. L’ancien capitaine parachutiste avait permis à la démocratie d’advenir en 1992 au Mali. Commis en plein soulèvement populaire contre le régime de parti unique de Moussa Traoré, son putsch avait débouché sur une transition express et une première élection démocratique en 1992, à laquelle il ne s’était pas présenté. Il avait tombé l’uniforme bien plus tard pour revêtir le grand boubou des civils et se présenter à la succession d’Alpha Oumar Konaré en 2002.

Avant le terme de son second quinquennat, en mars 2012, il avait été renversé par une armée en colère après le massacre de militaires maliens dans une caserne à Aguelhok. L’armée malienne se disait mécontente des conditions dans lesquelles il lui était demandé de lutter contre les avancées d’un millier de séparatistes touaregs alors ralliés par des groupes islamistes armés, au nord du Mali. L’idée d’un procès pour haute trahison contre lui a été abandonnée.

L’ex-putschiste guinéen Moussa Dadis Camara, 53 ans, a pris le pouvoir en décembre 2008 après la mort de Lansana Conté, imposant une junte d’abord populaire, puisqu’elle promet des élections démocratiques au bout d’un an. Dix mois plus tard, piégé par son propre goût pour le pouvoir et son intention de se présenter à la présidentielle, Moussa Dadis Camara a du sang sur les mains : le massacre perpétré par l’armée le 28 septembre 2009 dans un stade de Conakry fait plus de 150 morts.

Les enquêtes lancées par les Nations unies et la Cour pénale internationale (CPI) conduisent son aide de camp, Aboubacar « Toumba » Diakité, auquel il veut faire porter le chapeau, à lui tirer une balle dans la tête. Le 3 décembre 2009, il est évacué au Maroc, où il est soigné, puis conduit contre son gré au Burkina Faso, où il est logé dans une villa du quartier de Ouaga 2000.

Depuis 2010, il n’a de cesse de retourner en Guinée, ce que refuse Alpha Condé, l’actuel président guinéen, qui est intervenu pour faire bloquer son avion à Accra alors qu’il était en route en 2015. Attendu par la justice de son pays pour sa responsabilité dans le massacre du 28 septembre 2009, Moussa Dadis Camara a vu sa candidature à la présidentielle de 2015 rejetée. Retour à Ouaga 2000, donc, où l’ex-putschiste renversé par ses camarades ronge son frein. Difficile, en effet, de renoncer à ses ambitions quand on n’a gouverné qu’un an.

Procès ou retour en grâce

Transféré à La Haye le 29 novembre 2011, sept mois après sa chute retentissante au terme d’une longue crise post-électorale, Laurent Gbagbo, 72 ans, partage sans doute avec Charles Taylor, ex-président du Liberia, le sort le moins enviable des présidents déchus d’Afrique. D’abord assigné à résidence dans le nord du pays, le voilà désormais aux prises avec la justice internationale.

Voilà déjà six ans qu’il est embarqué dans un procès au long cours devant la CPI, au terme duquel il risque une lourde condamnation. Il doit en effet répondre de nombreux chefs d’inculpation, ayant refusé, en décembre 2010, d’admettre une défaite électorale qu’il conteste toujours, ce qui a mené son pays à une crise qui a fait au moins 3 000 morts selon les Nations unies.

L’ex-président est jugé aux côtés de son ancien lieutenant Charles Blé Goudé, responsable des milices des Jeunes patriotes accusées d’avoir commis des exactions. Les deux hommes plaident non-coupables et cherchent à faire du tribunal une tribune politique, pour dénoncer l’impunité du régime actuel en Côte d’Ivoire, qui n’a traduit aucun de ses propres responsables en justice pour le massacre de Duékoué qui a fait 800 morts en mars 2011, pourtant commis par les forces armées rebelles qui le soutenaient.

Marc Ravalomanana, 67 ans, élu président de Madagascar en 2002, a connu le destin le moins tragique de tous depuis sa chute en 2009. L’ancien homme d’affaires, d’abord élu maire de la capitale Antananarivo en 1999, a payé deux lourdes erreurs : sa décision de s’acheter un jet alors que son pays nage dans la pauvreté et celle de louer à la société coréenne Daewoo 1,3 million d’hectares de terre quand la population dépend largement de l’agriculture pour survivre.

Son rival, le maire de la capitale, Andry Rajoelina, incite les militaires à prendre le pouvoir en 2009, le contraignant à l’exil en Afrique du Sud. Condamné aux travaux forcés par contumace pour la mort d’une trentaine de partisans de Rajoelina, il est arrêté en octobre 2014 à son retour au pays, puis remis en liberté. Nouvelle étape dans sa reconquête du pouvoir ? Son épouse, Lalao Ravalomanana, a remporté la capitale lors des municipales de 2015. Quant à lui, il ne cache plus son intention de se présenter à la présidentielle de 2018.

  • Rfi
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