Procès en correctionnel – Khalifa Sall sur les pas de Karim Wade

La machine judiciaire s’emballe. Tel un rouleau compresseur, elle ne laisse aucun répit à l’édile de Dakar Khalifa Sall, à ses conseils et co-accusés. Tout laisse croire que les carottes sont déjà cuites. Pour la plupart des observateurs, il sera condamné et éventuellement écarté de la course vers la présidentielle de 2019.

La justice des hommes est parfois bizarre. Aussi bien les lois nationales que les traités internationaux s’empressent de proclamer la présomption d’innocence. Il en est de même du principe de l’indépendance de la justice. Par élégance républicaine, il est recommandé d’avoir foi en la personne des juges chargés de dire le droit.

Abusivement, les hommes politiques, surtout quand ils sont du pouvoir, sont prompts à dire : “Il faut faire confiance en la justice. Il faut laisser les juges faire leur travail.’’ Sauf que dans certaines affaires, tout se passe comme si les dés étaient pipés depuis le début de la procédure. C’est du moins le sentiment de beaucoup de justiciables.

Certains spécialistes ne disent pas le contraire. Son statut ne lui permettant pas de critiquer vertement les décisions de justice, cet avocat donne les exemples d’Idrissa Seck, Karim Wade, Khalifa Sall, Ousmane Ngom ou Awa Ndiaye pour fonder son propos. Et la liste est loin d’être exhaustive. Selon lui, une chose est sûre : le sort des “délinquants politiques’’ est étroitement lié à leur coloration. “Si vous êtes avec le pouvoir, on vous couve. Sinon, on vous charge. Cela crée un sentiment d’injustice. D’où la suspicion sur les décisions de justice. Même quand elles sont bien rendues’’, affirme-t-il.

Dans l’affaire de la caisse d’avance, notre interlocuteur admet que “le maire de Dakar a commis des erreurs’’, mais s’interroge sur l’attitude des juges, s’il s’agissait d’un partisan du pouvoir. Une question qui reste sans réponse. Cette justice, qualifiée de justice à double vitesse, ne date pas d’aujourd’hui. Sous nos cieux, la justice a souvent été chassée du prétoire par la politique. “Evidemment, quand la politique entre au palais de Justice par la porte, le droit en sort par la fenêtre’’, rétorque l’avocat.

Dans l’affaire Khalifa Sall, il y a un semblant de suspense. Mais, en réalité, les carottes sont presque cuites. La guillotine fin-prête pour s’abattre sur un concurrent jugé dangereux à la présidentielle de 2019. C’est du moins le sentiment partagé par plusieurs Sénégalais. Ils sont nombreux à affirmer que le “socialiste’’ marche résolument sur les traces du libéral Karim Wade. Même si les proches ou partisans du régime actuel vous diront que la justice est impartiale. Renvoyé devant le tribunal correctionnel, se pose alors la question de l’avenir politique du maire de Dakar.

Le juge lui laissera-t-il son droit de se présenter à l’élection présidentielle de 2019 ? A quelle peine sera-t-il condamné ? Pour beaucoup, ce sont les deux suspenses qui restent dans l’affaire Khalifa Sall accusé d’association de malfaiteurs, de détournement de deniers publics et d’escroquerie portant sur des deniers publics d’un montant de 1,8 milliards de francs Cfa.

Automatiquement écarté, s’il est condamné à plus de 5 ans de prison En fait, ces deux questions sont intimement liées. Le Code pénal y apporte quelques réponses. Il ressort, en effet, de l’article 34 al 1er dudit code, que “les tribunaux jugeant correctionnellement pourront, dans certains cas, interdire, en tout ou en partie, l’exercice de droits civiques, civils et de famille suivants’’. Parmi ces droits civiques : “Le vote et l’éligibilité.’’

A son alinéa 2, la loi précise : “Lorsque la peine d’emprisonnement encourue sera supérieure à 5 ans, les tribunaux pourront prononcer pour une durée de dix ans au plus, l’interdiction totale ou partielle des droits énumérés…’’ Mieux, le texte ajoute à son alinéa 3 que : “Lorsque la peine d’emprisonnement prononcée sera supérieure à 5 ans, l’interdiction définitive de tous les droits devra obligatoirement être prononcée.

L’interdiction prendra effet à compter du jour où la condamnation sera devenue définitive.’’ C’est encore là une des ressemblances saillantes avec le cas Karim. En effet, comme Karim Wade, le leader de Mankoo Taxawu Senegaal risque d’être mis hors course pour la présidentielle de 2019.

N’en déplaisent aux “karimistes’’ et aux “khalifistes’’, il ressort, en effet, des dispositions susmentionnées, que le juge est obligé de prononcer la déchéance, dès qu’il prononce une peine supérieure à 5 ans. Cette déchéance devient facultative si la peine prononcée à l’encontre du maire est inférieure à 5 ans. Dans ce cas, le sort du maire de Dakar sera laissé à l’appréciation du juge.

Toutefois, l’article 35 dispose que “les tribunaux ne prononceront l’interdiction mentionnée dans l’article précédent que lorsqu’elle aura été autorisée ou ordonnée par une disposition particulière de la loi’’.

Retour sur un dossier aux multiples rebondissements

Malheureusement pour le maire de Dakar, il ne pourra s’en prévaloir, car poursuivi, notamment pour détournement de deniers publics. L’article 156 al 2 du Code pénal informe que “les condamnés, commis ou proposés, pourront être interdits pendant dix ans au plus, à partir de l’expiration de la peine, des droits énumérés à l’article 34 du présent code.

En outre, ils pourront être déclarés incapables d’exercer aucun emploi public pendant vingt ans au plus’’. Par ailleurs, comme dans l’affaire Karim Wade (malgré ses victoires devant les juridictions internationales, il a perdu à toutes les instances sur le plan national), la défense a multiplié les revers depuis le début de la procédure. Aussi, le procès fut long et plein de rebondissements. Placé sous mandat de dépôt le sept mars 2017, Khalifa Sall se bat depuis lors pour humer à nouveau l’air frais de Dakar.

Comme l’avait d’ailleurs promis son avocat Ciré Clédor Ly. “Nous mènerons toutes les actions pouvant aboutir à faire sortir nos clients de prison. L’action la plus urgente, c’est la liberté provisoire’’, disait-il. Dans un premier temps, les conseils avaient introduit une demande de liberté provisoire. Rejetée ! Ils interjettent appel.

La chambre d’accusation rejette également leur requête. Ils vont jusqu’à la Cour suprême, même au Conseil constitutionnel. Mais, à chaque fois, le verdict a été identique. Les avocats du maire de Dakar reviennent à la charge pour une demande d’annulation du rapport de l’Ige. Déboutés ! Ils évoquent le respect des droits électoraux du candidat Khalifa Sall. Même résultat. Même leur dernier argument qui, selon beaucoup d’experts, était plus pertinent, a été balayé par les juges d’un revers de la main, à toutes les instances.

A chaque fois, le verdict était connu d’avance. Sauf peut-être pour ses avocats, parmi les meilleurs que compte le barreau de Dakar. Mais hélas, cela ne l’empêche pas d’aller de revers en revers. Fatigués, les conseils acceptent ce qu’ils ont toujours refusé : la consignation. C’était leur dernière cartouche. Mais là aussi le juge instructeur a été intraitable.

Pourtant, tout au début de la procédure, Ciré Clédor avait mis en garde : “Si cette affaire atterrit au tribunal, ce sera la plus grande honte de cet Etat, parce que c’est un complot. Des éléments que nous ne pouvons pas dévoiler seront mis à nu.

Je crois que cela ne fera pas l’honneur du Sénégal, sur le plan national et international…’’ Qu’il affûte donc ses armes, parce que l’on semble inéluctablement se diriger vers le procès.

  • EnQuete
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