Ports africains: Vincent Bolloré mis en examen pour «corruption»

L’homme d’affaires français Vincent Bolloré a été inculpé mercredi soir à Paris de « corruption d’agent étranger », de « complicité d’abus de confiance » et de « faux et usage de faux », dans l’enquête sur l’obtention par son groupe de concessions portuaires en Guinée et au Togo, selon des sources judiciaires.

Placé deux journées en garde à vue, Vincent Bolloré, qui a quitté le bureau des juges sans être placé sous contrôle judiciaire est soupçonné d’avoir obtenu les concessions des ports guinéen de Conakry et togolais de Lomé en contrepartie de services rendus aux dirigeants locaux via sa filiale Havas. Le directeur général du groupe Bolloré, Gilles Alix, a lui aussi été inculpé mercredi pour les mêmes chefs, selon cette source. Et puis le responsable de la filière communication Havas, Jean-Philippe Dorent, a été, lui, placé sous le statut de témoin assisté.

Le milliardaire de 66 ans, n’a, semble-t-il, pas convaincu les magistrats du pôle financier. Serge Tournaire et Aude Buresi, les deux juges d’instruction, estiment qu’il existe des indices graves et concordants contre Vincent Bolloré. Inculpé de « corruption d’agent public étranger », « complicité d’abus de confiance » et « faux et usage de faux », Bolloré encourt de cinq à dix ans de prison rien que pour le délit de corruption.

Sans contrôle judiciaire pour les trois hommes, ceux-ci pourront donc, s’ils le souhaitent, se rendre partout en Afrique, y compris dans les pays ou ils sont soupçonnés de corruption. « Vincent Bolloré qui reste présumé innocent pourra avoir enfin accès à ce dossier dont il n’a jamais eu connaissance et répondre à ces accusations infondées », a réagi son porte-parole dans un communiqué.

Encore aux commandes du groupe Bolloré, l’industriel, qui a récemment cédé les rênes du géant français des médias Vivendi à son fils Yannick, avait été placé en garde à vue mardi matin dans les locaux de la police anticorruption à Nanterre, près de Paris.

Trois possibilités s’offraient aux juges

Les juges Serge Tournaire et Aude Buresi pouvaient d’abord considérer que Vincent Bolloré avait répondu à toutes les questions des enquêteurs durant sa garde à vue. Il pouvait ressortir libre du bureau des deux magistrats.

Deuxième option, le milliardaire breton pouvait être placé sous le statut de témoin assisté. Autrement dit, il restait mis en cause dans cette information judiciaire sans être mis en examen. Ce statut excluait enfin tout contrôle judiciaire, détention provisoire ou port d’un bracelet électronique.

Dernière possibilité, c’était la mise en examen. Elle pouvait intervenir si les juges considèraient que des indices graves et concordants prouvaient son implication dans les faits qui lui sont reprochés.

A partir de maintenant, les avocats de Vincent Bolloré pourront, s’ils le souhaitent, déposer des recours sur le fonds et sur la forme concernant cette mise en examen. Le mis en cause pourra ensuite, soit être renvoyé devant un tribunal en vue d’être jugé, soit bénéficier d’un non-lieu si le parquet juge insuffisantes les charges retenues contre lui.

Bolloré, un employeur important à Conakry

Du côté du port de Conakry, en Guinée, quelques ouvriers, en présence d’agents de sécurité, ne tarissaient pas d’éloges, ce jeudi, au sujet de l’industriel qui « a fait beaucoup pour le pays » en terme d’emplois notamment. Le port de Conakry par exemple, c’est 460 personnes, selon son site.

Un des employés confiait que la nouvelle fait beaucoup parler ce matin. Certains disent craindre pour leur emploi si jamais les ennuis judiciaires de Vincent Bolloré se poursuivaient. Un autre, mais sous couvert d’anonymat, félicitait la justice française pour son enquête : « il serait bon d’en finir avec les pratiques de corruption ».

Dans un café de Boulbinet, près du port, un client expliquait que « la gestion du port s’était considérablement amélioré depuis l’arrivée du groupe » mais que ce qui pose problème ce sont « les conditions d’obtention du marché » et surtout « les méthodes », comme l’éviction manu militari du prédécesseur de Bolloré.

L’affaire fait la Une des médias guinéens

La nouvelle a fait l’ouverture du principal talk-show guinéen ce jeudi 26 avril au matin. Les intervenants ont souligné le peu de communication du gouvernement, pourtant directement concerné par les soupçons en question. Ils évoquaient également la possibilité d’une conférence de presse dans la journée, mais cela reste à confirmer.

« L’ami personnel d’Alpha Condé mis en examen » titrait ce matin le site d’informations Guinéenews en rappelant, et il n’est pas le seul, les mots du président Alpha Condé en 2016 : « Je privilégie les amis, et alors ! ».

« Les puissants s’arrangent entre eux et le peuple souffre » résumait le gérant d’un kiosque, en désignant le portrait de Vincent Bolloré dans un quotidien paru ce matin. « Bolloré en Guinée: de l’anonymat à l’exubérance » titre quant à lui le site « Mosaique Guinée » qui revient sur la manière dont le groupe s’est imposé ces dernières années, jusqu’à devenir l’un des principaux acteurs économiques du pays.

■ La saga judiciaire du port de Conakry

Vincent Bolloré a été mis en examen dans le cadre d’une enquête portant notamment sur la concession du terminal à conteneurs du port de Conakry. C’était en mars 2011, trois mois après l’arrivée au pouvoir du président Alpha Condé. L’affaire avait défrayé la chronique et donné lieu à 5 ans de bataille judiciaire avec un autre groupe français, Necotrans.

Le point de départ de cette affaire est un décret présidentiel par lequel Alpha Condé décide de retirer à Getma, filiale de Necotrans, la concession du port du Conakry. Dans la foulée, le chef de l’Etat guinéen envoie la gendarmerie sur place. Le concessionnaire français est délogé manu militari.

Explication officielle : Necotrans n’aurait pas honoré ses engagements. Certains investissements auraient pris du retard, de même que la formation du personnel local. Deux jours plus tard, c’est le groupe Bolloré qui récupère le très lucratif terminal à conteneur du port de Conakry.

« Tout le monde était choqué par la manière, on ne comprenait pas du tout que les choses se fassent de cette façon-là, se souvient le président de la Plateforme des citoyens unis pour le développement (PCUD), Abdouramane Sano. On a vu une [volonté] d’évincer tous les exploitants, tous les acteurs qui travaillaient depuis des décennies sur le port de Conakry, au profit de Bolloré. A un moment donné, les travailleurs du transport maritime se sont mis en grève mais malheureusement l’influence de l’Etat a fait qu’on a pu endiguer ce malaise. »

Necotrans dénonce de son côté une éviction arbitraire. Cette concession, le groupe français l’a obtenue 3 ans plus tôt et pour une durée de 25 ans. La bataille judiciaire est lancée. Necotrans attaque en justice le groupe Bolloré et l’Etat guinéen.

En 2016, le CIRDI, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, juge l’éviction de Necotrans « irrégulière ». Necotrans obtient près de 450 000 euros de dommages et intérêts. Mais l’instance – qui dépend de la Banque mondiale – rejette les accusations de corruption.

Après cinq ans de bataille, Necotrans se retrouve en redressement judiciaire. Une partie de ses activités est alors reprise par le groupe Bolloré.
Rfi

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