Pékesse, Nguiguiss, Souguère, Ngol-Ngol…Immersion dans le fief des Damels du Cayor

Un petit tour dans le Cayor des profondeurs permet de revisiter l’histoire des 32 premiers Damels du Cayor qui portaient tous le patronyme Fall et du 33ème, Lat-Dior Ngoné Latyr Diop, le plus connu et le plus téméraire de tous. Aujourd’hui fief du « Taakhouraane », sorte de rap traditionnel, le Cayor est décrit comme une terre d’honneur, de bravoure, de refus mais aussi de réjouissances.le-royaume-du-cayor-damel

Reportage

A la sortie de Ngaye Mékhé, sur la route de Touba, il faut rouler à vive allure sur une route goudronnée nouvellement réhabilitée pour rejoindre Pékesse, une commune qui joue, aujourd’hui, un rôle de carrefour entre les régions de Thiès et Diourbel. Ici, nous sommes dans le Cayor des profondeurs car à 3 km de la localité, se dresse majestueusement Diadji, le village de naissance de Lat-Dior Ngoné Latyr Diop, 33ème Damel du Cayor, le seul à porter le patronyme Diop du fait des vicissitudes de l’histoire. L’histoire du Cayor est racontée avec passion par les griots de la contrée qui occupent, depuis des lustres, une place prépondérante dans la société wolof. Selon le communicateur traditionnel, Belhadj Meissa Sall, la localité de Souguère, située à 2 km de Pékesse, était la capitale choisie par Lat-Dior. C’était d’ailleurs son lieu de retraite et de réjouissances à la fin des nombreuses batailles victorieuses. C’était le cas à la suite de la célèbre bataille de Ngol-Ngol, au cours de laquelle Lat-Dior et ses troupes avaient tué une centaine de Spahis, le plus grand nombre de combattants blancs tués en une seule bataille au cours de la période précoloniale. En parcourant le Cayor, on s’est rendu compte que les habitants ont l’honneur chevillé au corps. Le griot Satté Mbaye a donné l’exemple d’Amary Ngoné Sobel qui dès 1549, a été le premier Roi du Cayor à refuser de payer l’impôt au Bourba Djoloff. A l’époque, le Roi du Djoloff imposait la collecte de l’impôt à tous les autres royaumes du Sénégal. C’est ainsi que le Baol donnait des cuirs et peaux et le Walo donnait du sel. Téméraire en diable, Lat-Dior a aussi refusé de payer l’impôt au Djoloff. Les rois du Sine, du Baol et d’autres contrées lui avaient emboîté le pas.lat-dior-dernier-damel-du-cayor

A en croire Gora Thiam trouvé à Khibar Fall, fief de la Linguère Yacine Boubou, Lat-Dior a réussi quelque part son épopée en s’adossant à la science et à l’érudition de grands savants de l’époque comme son célèbre conseiller Khaly Madiakhaté Kala, originaire de Keur Makala, un village situé non loin de Niakhène au cœur du Cayor. Ce marabout et grand cadi (juge musulman) était réputé pour sa bonne maîtrise des arcanes de la société wolof.

Le Cayor, fief des grands griots du pays

De même, Tchilla Daramane, un notable de la famille Sylla de Niakhène, était aussi son conseiller. Idem pour la famille de Mewndou Diakhaté, connue pour être la famille maternelle du regretté Serigne Saliou Mbacké, le défunt khalife général des Mourides. C’est ce qui explique aussi les relations séculaires, cordiales et familiales entre la famille de Serigne Touba et le grand combattant Lat-Dior.

Un petit tour dans le Cayor n’aurait aucun sens sans l’étape de Nguiguiss. Ce village s’offre à la vue du visiteur juste après avoir franchi Kelle (non loin de Mékhé) pour quitter la route nationale, bifurquer à droite et emprunter une piste sinueuse sur une distance de près de 10 kilomètres. C’est à Nguiguiss que les 33 Damels du Cayor ont été intronisés nous révèle fièrement Aymérou Gningue, fils du village, par ailleurs maire de Mérina Dakhar. Le doyen Mbaye Diaw, un des notables de la contrée, confirme ces informations en ajoutant que Nguiguiss a fait office de capitale du Cayor au même titre que Mboul. C’est pourquoi le village continue de jouer un rôle de premier plan sur l’échiquier régional grâce au dynamisme et à l’ingéniosité de ses 3.000 habitants.

Cette virée au Cayor a permis de redécouvrir la place centrale des griots dans la société wolof. La localité de Marène, située non loin de Pékesse, en est la parfaite illustration. Marène, nous souffle le griot Meissa Sall, est le village d’origine du grand parolier Thione Seck. C’est de là qu’est venu le nom de « Faramarène » que le jeune chanteur Waly Seck ne cesse de magnifier. A en croire le vieux Satté Mbaye, Marène Soughère, Mboul, Ndiouki et Djadji sont les localités d’origine des grands griots du pays. Notre interlocuteur a beaucoup insisté sur le rôle de régulateurs sociaux joué par ces maîtres de la parole. « Ils avaient le don de galvaniser les rois en leur rappelant le sens élevé de l’honneur. C’est la raison pour laquelle les souverains étaient obligés de collaborer avec eux ».

L’esprit « Ceddo » omniprésent

Terre de réjouissances, le Cayor l’était aussi car après chaque sortie victorieuse du Damel, de véritables agapes étaient organisées. Les noces avaient lieu avant et après les batailles précisent les griots. Des bœufs étaient alors immolés, l’alcool coulait aussi à flots car il s’agit d’un véritable fief des « Ceddos », ces braves guerriers réputés pour leur témérité et leur sagacité. Des airs célèbres comme le « Ndattali », le « Gadialdé », le « Ngoomar » ou le « Mbangodj » étaient alors joués avec frénésie. Le réveil matinal du Damel était aussi accompagné de ce spectacle typique. Aujourd’hui, fait remarquer le vieux Gora Thiam, ces pratiques païennes sont presque reléguées au second plan avec l’islamisation renforcée par l’impact des enseignements de Serigne Touba dans la zone. Mais, s’empresse-t-il de préciser, l’esprit « Ceddo » est resté tel quel. Pour le vieux griot, « un bon « Ceddo » est un homme de confiance qui ne trahit jamais mais reste quelqu’un de très fin. »

Outre les griots et les « Ceddos », la femme occupe une place prépondérante dans la société cayorienne. Pas moins de six célèbres localités du Cayor ont été fondées par des femmes. C’est ainsi que la Linguère Yacine Boubou a fondé Khibar. Sokhna Asta Diop a elle fondé Mérina Asta, Linguère Madagoya a fondé Djadji, Dior Ngoné a créé Ndimb, Codou Fall Ngoné Diagne a fondé Begeul et enfin Bigué Ngoné est la fondatrice de Ndiatta.

Le « Taakhouraane », sorte de rap traditionnel 

L’attractivité du Cayor a aussi été renforcée par la pratique assidue du « Taakhouraane », un pan important de la culture locale. C’est un chant déclamé avec beaucoup d’inspiration et de rapidité. Il s’agit d’un air particulier, une sorte de poésie que son auteur joue à l’aide d’un « tama » (petit tam-tam) logé sous l’aisselle. Tout un rituel. « Il faut avoir les idées claires et être fin d’esprit pour tenir une bonne partie de « Taakhouraane » », souligne avec malice Niaaw Thiaw de Keur Manoumbé, un homme considéré comme l’un des maîtres de cet art très prisé. Samba Sow est lui décrit comme le plus célèbre d’entre eux tandis que Ndiol Niang exerçait sous le regard protecteur d’un regretté khalife général des Mourides. Le « Taakhouraane » est très proche du « Tassou » ou du rap. Ce sont des messages puissants lancés avec plein d’aplomb. Ce qui ajoute au charme de l’art. Détail important : l’aspect vestimentaire est aussi mis en exergue car le joueur de « Taakhouraane » porte un pantalon bouffant, « Tchaya », un sous-vêtement et des amulettes (ndombos) autour de l’avant-bras et des reins ; bref tout l’attirail traditionnel qui force le respect et l’admiration des non-initiés.

Par ailleurs, les puristes de la culture locale regrettent le fait que la pratique du « xalam », une belle musique royale, perd de plus en plus du terrain. Les spécialistes estiment que même dans les contrées les plus reculées de la zone, le « xalam » est délaissé. Les seules zones de résistance identifiées étant actuellement le Fouta et le Saloum à un degré moindre. Le « Kassak », un air musical joué pour accompagner les circoncis, connaît aussi le même sort.

L’empreinte de Sergine Touba 

Par ailleurs, les relations séculaires entre la famille de Serigne Touba et les Cayoriens ont de tout temps été cordiales. Beaucoup de mariages ont été d’ailleurs scellés entre la famille de Khadimou Rassoul et celle de Lat-Dior Ngoné Latyr Diop. Selon Pape Diouf, notable à Mboul, Serigne Touba et Mame Cheikh Ibra Fall ont fortement contribué au changement des comportements dans le Cayor des profondeurs. Ces deux saints ont aussi consolidé des valeurs fortes comme le sens de l’honneur, le respect de la parole donnée, la dignité, la fidélité, etc.


LeSoleil

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