MEURTRE AU SENEGAL : Une Saignée macabre banalisée

MEURTRE AU SENEGAL

Les nombreux cas de meurtres et la banalité de leurs motifs inquiètent plus d’un au Sénégal. La vie humaine, si sacrée, est trop prise à la légère dans notre pays depuis un certain temps. En attestent les nombreux cas d’assassinats enregistrés rien qu’à l’intervalle de quelques jours. Pis, c’est à la limite si l’on n’assiste à une sorte de «légalisation» qui ne dit pas son nom du phénomène, vu les mobiles de ces crimes. Pour une simple cigarette, pour une petite pièce de 25 ou 100 F Cfa, pour une tasse de café, pour un léger accrochage entre deux véhicules, etc. des Sénégalais sont prêts à ôter la vie à leur vis-à-vis. Le mal est profond.  
Le sang coule et continue à couler. Rien qu’à l’intervalle de quelques jours, plusieurs cas de meurtres ont été recensés dans notre pays dont 6 dans les derniers dix jours. Les mobiles sont différents certes, mais la banalité des causes de ces décès frise le mépris. La vie humaine est sacrée. Cependant à la lumière des événements de ces derniers jours, c’est à se demander si nous ne sommes pas dans une société sénégalaise tellement mal-en-point que même l’irréparable est permis.
Il y a de cela quelques jours, précisément la nuit de dimanche 6 à lundi 7 novembre 2016 à Ndioum, dans le Nord du pays, un double meurtre a été orchestré dans une pharmacie. Le gardien des lieux, Ibrahima Diallo et un vendeur, Moustapha Faye ont été lâchement tués avec des fracas de briques. Un crime odieux qui ne cache certes pas le meurtre de l’étudiant Yankhoba Dramé à Cambérène. On lui a ôté la vie pour la maudite somme de 100 F Cfa. Il y a seulement à peine cinq jours, Mouhamed Bamba Ly a été lui aussi poignardé à mort pour une simple tasse de café.
Les souvenirs du meurtre d’Ibrahima Samb restent encore figés dans la tête de beaucoup de Sénégalais. Pour une banale dispute, à la station d’essence de Nord Foire, Ousseynou Diop a ouvert le feu sur le taximan, Ibrahima Samb le jeudi 27 octobre 2016 vers 22h30. Des coups de feu qui emportent l’espoir de toute une famille qui voyait en ce fils son unique soutien et brisent le cœur d’une fille dont il a conquis le cœur. Et, la date du mariage avait déjà été arrêtée pour le samedi 12 novembre, donc demain.
Ces meurtres sont certes récents. N’empêche, cette saignée macabre demeure une triste réalité. L’on se rappelle de la série de meurtre des malades mentaux à Tambacounda il y a de cela quelques années. En août 2015, le vendeur de café, Baye Fall, a été sauvagement tué devant les locaux du Groupe Walfadjri. La liste est loin d’être exhaustive. Les prisons sont surpeuplées, les procès pour meurtre difficiles à organiser, reste maintenant à se demander quelle solution pour sortir de l’ornière.
ME ASSANE DIOMA NDIAYE, AVOCAT ET PRESIDENT DE LA LIGUE SENEGALAISE DES DROITS HUMAINS : «S’attaquer aux causes de la criminalité»
La recrudescence de la criminalité dans notre société pose un réel souci d’insécurité chez la population. Cette situation a fini de remettre sur la table le débat sur la peine de mort.  Face à cette «panique», l’avocat et défenseur des droits de l’homme, Me Assane Dioma Ndiaye, en appelle à la réflexion pour trouver une solution durable. Il est joint au téléphone par la rédaction.
Pour l’avocat et défenseur des droits de l’homme, Me Assane Dioma Ndiaye, l’urgence est d’apporter des solutions et non pas se laisser dépasser par les événements. Il trouve ainsi qu’il est nécessaire de s’attaquer aux causes de la criminalité dominées par l’absence de repères pour les jeunes et la fracture sociale grandissante.
«Les riches deviennent de plus en plus riche et les pauvres de plus en plus pauvre. L’avenir est incertain, il n’y a plus d’espoir. Certains vous diront qu’ils préfèrent mourir plutôt que de vivre dans la pauvreté. La fracture sociale se creuse de plus en plus. Alors, les jeunes se réfugient derrière la drogue, l’alcool qui, à un moment donné, facilitent l’éclosion de la violence, les nerfs s’agitent. Alors, la colère prends le dessus sur toutes les règles, dès lors plus aucune limite».
Les sanctions pénales existent. Cependant, les meurtres continuent de plus belle. L’avocat président de la Ligue sénégalaise des droits humains exclut toutefois le retour à la peine de mort.  «La peine de mort n’est pas envisageable telle qu’elle est sollicitée par bon nombre de citoyens. C’est une atteinte à la dignité humaine, de la même façon qu’aucune personne n’a le droit de porter atteinte à la vie d’autrui. L’Etat aussi n’a pas ce droit», a-t-il dit.
DJIBY DIAKHATE, SOCIOLOGUE : «Réconcilier l’école avec la société»
Interrogé sur les meurtres répétés de ces dernières semaines, avec des mobiles légers, le sociologue Djiby Diakhaté dénonce un règlement social. Aussi juge-t-il nécessaire la réconciliation de la société avec l’école.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, la fréquence des meurtres  au Sénégal? 
Nous sommes dans une société où la violence, sous toutes ses formes, a tendance à se développer. Une violence d’abord verbale qui s’exprime à travers notre façon de parler et sans que nous nous en rendions compte. C’est des expressions faites de menaces, d’injures, d’invectives et nous les utilisons sans nous rendre compte que nous émargeons dans le registre de la violence. A côté de cette violence verbale, il y a la violence symbolique qui est excessivement sournoise, qui se manifeste à travers des cas d’exclusion, des cas de stigmatisations dont certains sont victimes soit parce qu’ils sont pauvres, soit parce qu’ils appartiennent à certaines familles démunies, soit parce qu’ils font l’objet de préjugés des fois non fondés et vivent cette exclusion dans leur quotidien. Vous avez la violence physique que nous avons ces temps-ci qui se manifeste à travers le meurtre, le viol, les agressions, etc.
Il faut dire que ces cas de meurtres se développent parce que les valeurs qui s’articulaient autour de la vie en communauté, avec ses principes comme la solidarité, la générosité, le respect de l’autre, ces choses là ont tendance à se déliter et à laisser la place à l’égoïsme et à l’individualité déferlants. Alors, sous ce rapport là, on peut dire que la violence qui est entrain de sévir ces derniers jours, n’est que le prolongement d’une situation de malaise dans laquelle vivent beaucoup de Sénégalais en milieu urbain et en milieu périurbain. C’est ce contexte là qui favorise la violence. Et, entre le dire et le faire, la distance est vraiment très petite.
Cela voudrait-il dire que la société sénégalaise est malade ?
C’est vraiment une situation plus où moins gênante pour une société dont on disait qu’elle est faite de générosité, de tolérance, d’hospitalité (pays de la Téranga). Une société dont on dit que «l’Homme est le remède de l’Homme», mais qu’en même temps, l’on ne se rende pas compte que notre société dernièrement est entrain de connaitre des métamorphoses très profondes. Et, ces mutations ne s’articulent pas autour de valeurs positives. Et, la quête de l’argent par touts les moyens, c’est la délation, la fornication, les combines. En somme, c’est toutes les formes de déviance qui sont entrain de se développer et qui donnent peut-être raison, à titre posthume, à Ousmane Sembène lorsqu’il affirmait dans «Le Mandat» (c’est le titre de l’un des romans du défunt écrivain cinéaste sénégalais, ndlr) que dans la société actuelle, l’honnêteté est devenue un délit. De ce point de vue là, c’est une véritable pathologie qui s’empare de notre société.
Que faut-il faire donc ? 
Il faut retourner à l’éducation de base, renforcer la famille qui a toujours été la cellule sociale de base à l’intérieur de laquelle on inculquait à l’individu des valeurs de base, valeurs qui déterminent sa conduite dans la société. Cette famille là, aujourd’hui, ne joue plus son rôle. On se rend compte que les gens qui doivent s’occuper des enfants n’ont pas toujours le temps notamment à cause des activités professionnelles. Les jeunes sont plus ou moins laissés pour compte, ce qui fait que la marge de liberté qui leur est accordée devient de plus en plus grande. Donc, il faut retourner à la famille.
Autre chose qu’il nous faudrait faire, c’est de réconcilier l’école avec la société. Il me semble que l’école que nous avons développe des curricula qui nous éloignent de nous-mêmes. C’est une école héritière de la colonisation et qui n’a pas fait l’objet d’une refonte jusque-là. En conséquence, il va falloir enseigner à l’école des choses qui nous réconcilient avec nos modèles ainsi que nos valeurs.
Autre chose qui me semble importante, c’est quels sont les modèles qu’il faut donner aux jeunes ? C’est important que l’on fasse attention au niveau de la puissance publique. En réalité, lorsque certains politiciens sont considérés comme des modèles et qu’ils adoptent certains comportements, avec un discours violent et un comportement violent, cela pose surement un problème. C’est aussi valable pour certains hommes publics. Il faut que l’on donne particulièrement à nos jeunes des modèles articulés autour de la vertu et du savoir. Il faut aussi des programmes de lutte contre la pauvreté.

Sud Quotidien

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