Macky Sall ou l’usage du Parlement et l’abus de la Justice (Par Cire Ba)

Pendant très longtemps, des voix ont alerté la tendance dangereuse  du président-parti, Macky Sall, à user du Parlement et abuser de la Justice. Aujourd’hui, cette posture commence à sécréter des extrémités avec la rupture de confiance entre le justiciable et la justice. Cette méfiance des juridictions internes fait prospérer la juridiction communautaire dont les décisions apportent un réconfort au justiciable lésé dans son pays. L’absence de coopération de l’État synonyme d’une attitude de défiance présage des conséquences négatives dans les relations entre les pays membres surtout voisins.Ciré Ba, Contribution sur la Justice Sénégalaise, L'exécutif avec Macky Sall et la Justice, L'Assemblée Nationale

Ceux qui observent minutieusement les faits et gestes du président de la République, Macky Sall et par ailleurs président de la Coalition Benno bokk yaakar, ne seront pas envahis par un étonnement débordant. Ils seront solidement renforcés dans leur argumentation, et surtout habités par un sentiment de tristesse qu’un tel phénomène continue de se dérouler  au Sénégal après plusieurs décennies de hautes luttes et d’acquis démocratiques.

Un Président qui maîtrise le Parlement (il choisit le Président et dresse la liste des députés à l’occasion des élections législatives), il prend au colet la justice (même s’il y a des « rebelles » qui sont statutairement condamnés à maitriser leurs frustrations au risque de se voir museller).

Quand on peut user à sa guise le lieu de prise de décision en déposant des projets de lois pour régler des cas particulièrement personnels, quand on peut abuser  de l’institution chargée de régler les conflits,  dans un État , en bénéficiant des décisions positives ou négatives selon les circonstances, on est un Super-president. Oui. Macky est un super-president.

Pour contrer ses multiples décisions qui atterrissent au Parlement sous sa coupole, l’opposition qui est écrasée au vote par la majorité, se rabat au niveau de la Justice où les recours sont rejetés sans motifs juridiquement fondés. Il ne reste alors qu’un combat de rue où les forces contestataires retrouvent sur le terrain  des policiers zélés, sans formation ni humanisme, prêts à obéir aux  instructions infondées d’un Préfet de département qui délivre  inopportunément des arrêtés de refus d’autorisation de manifester sous l’œil vigilant d’un ministère de l’intérieur agissant sous les ordres de son chef.

L’usage du Parlement

Combien de fois a-t-on assisté a des cas de violations manifestes de la loi dans les séances parlementaires assurées autoritairement par le vieux Moustapha Niasse écarté constitutionnellement de la course à l’élection présidentielle à cause de la délimitation de  l’âge maximal voté à l’occasion du dernier référendum constitutionnel ?

La mémoire est encore fraîche pour se souvenir de l’utilisation du Parlement afin d’alimenter une tension à l’intérieur d’une formation politique. C’était l’épisode entre Modou Diagne Fada et Aida Mbodji qui se disputaient de la présidence du Groupe parlementaire démocratie-liberal. Alors que le parti démocratique sénégalais avait porté son choix sur Aida Mbodji, les députés de la majorité ont (…), dans toutes  leurs différentes interventions pour favorisé le député Modou Diagne Fada.

L’affaire du député-maire Khalifa Ababacar Sall, poursuivi dans le cadre de la caisse d’avance, est révélatrice de l’emprise du Président Macky sur le Parlement. Confronté à un obstacle procédural, le Parti-État a utilisé le Parlement pour procéder à la levée de l’immunité parlementaire longtemps refusée. Khalifa Sall a vu plusieurs de ses droits violés (le droit d’être entendu par une commission, le droit d’être assisté par ses conseils…). C’est une Assemblée nationale  qui, avec sa majorité, a levé l’immunité parlementaire en toute violation de la loi.

Dans ce climat de vote où les députés sont censés discuter des affaires de la Nation, l’opposition parlementaire tente de jouer opportunément son rôle. Malheureusement, la majorité mécanique s’adonne à son cinéma habituel en empêchant aux talentueux députés d’exposer leurs idées et de défendre leurs arguments.

L’abus de la justice

La justice censée être un pilier de la démocratie semble abdiquée. Elle se voit toujours obliger de respecter les règles les plus appropriées et au besoin les interpréter favorablement pour pouvoir rejeter les innombrables recours formulés par l’opposition contre les décisions entérinées par le Parlement.

On ne peut lister les recours rejetés contre les projets de loi votés par l’Assemblée nationale. Et pourtant les requêtes sont solidement argumentées, du point de vue juridique, à tel enseigne que la justice devrait prendre son courage à deux mains en accédant à la volonté des requérants.

Contre toute attente, ce sont, au contraire dans des cas de moindre importance où l’on voit le Parquet, pour sans doute se redonner une image perdue, sortir de sa réserve « dictée » par l’exécutif, afin d’annoncer pompeusement des poursuites. Réactiver les juridictions aux normes obsolètes, prendre des mesures administratives dont la finalité est d’accorder des garanties financières aux hauts magistrats à travers une augmentation de la retraite, sont entre autres décisions du chef de l’exécutif pour courtiser l’appareil judiciaire.

Ceux qui assistent aux procès sont frappés par le côté subjectif qui anime certains magistrats censés dire le droit. Dès fois, dans le cadre d’une affaire, un procureur chargé de défendre la société est en parfaite convergence avec un agent judiciaire de l’État. On finit par avoir l’impression qu’il s’agit de deux parties qui se concertent, avant d’entrer dans la salle d’audience, pour écraser la défense. Cela est tellement vrai que dans le procès Karim Wade relatif à l’enrichissement illicite, on a vu un procureur spécial qui, à un moment donné, a défendu les intérêts de la société, avant de finir par quitter ses fonctions de parquetier pour se retrouver agent judiciaire de l’État. En effet, après avoir requis une peine pour la condamnation des prévenus, il change de camp pour recouvrer les peines pécuniaires afin de recevoir sa part. Malheureusement pour lui, la cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) regorge de principes antidémocratiques au point que plusieurs pays n’en ont pas. Ce qui crée des obstacles pour l’exécution de sa décision dans les pays respectueux des droits de la défense.

On ne doit pas jouer avec la justice. Le développement économique d’un pays est fonction de la sécurité juridique et judiciaire.

Une idée faussement répandue dans le vocabulaire politique fait dissocier le calendrier judiciaire de celui politique.

Sinon comment comprendre cette précipitation de la justice à vouloir vider rapidement des dossiers de certains responsables politiques en s’efforçant de rendre  à tous les stades de la procédure des décisions défavorables.

De cet usage du Parlement et de cet abus de la Justice pour se construire une autorité suprême capable d’anéantir toutes les forces récalcitrantes, Macky en a fait un moyen d’action.

C’est là où on attendait le brillant constitutionnaliste, Ismaila Madior Fall qui, au lieu de rassembler tous les actes constitutionnels et législatifs posés par le pouvoir en place pour s’assurer d’un second mandat pour l’élection présidentielle de 2019 afin d’en faire un ouvrage temoin pour la generation future, nous ramène dans une perspective historique des élections présidentielles de 1963 à 2012.

En attendant que lui-même ou un autre constitutionnaliste  choisisse de s’aventurer dans cette activité scientifique, les futurs étudiants en système politique sénégalais retiendront que l’actuel ministre de la Justice a été au cœur d’énormes manipulations constitutionnelles et législatives pour baliser un second mandat au Président Macky Sall.

Par ailleurs, après avoir créé les conditions d’une désorganisation des élections (la stratégie consistant à créer un problème puis offrir une solution), la mouvance présidentielle a cru devoir rationaliser le jeu politique en instaurant le parrainage comme une des conditions de validité d’une candidature.

Après avoir usé du Parlement et abusé de la Justice surtout celle constitutionnelle et administrative, un sentiment de méfiance s’est installé entre le justiciable et les juridictions chargées de dire le droit, à tel point qu’aujourd’hui beaucoup de citoyens se rabattent au niveau des juridictions internationales et communautaires!

Méfiance des juridictions internes et confiance des juridictions communautaires et internationales

Si on est arrivé à une situation où le citoyen lamba n’a plus confiance à la Justice de son pays, cela résulte de la conjugaison de plusieurs facteurs : caractère sélectif des poursuites, violation des droits de la personne poursuivie, un subjectivisme débordant des juges dans les dossiers.

Comme le Sénégal s’est engagé dans des organes d’intégration qui disposent d’institutions judiciaires compétentes en matière de violations des droits de l’homme, on assiste à une exportation des conflits dans les juridictions communautaires. Sous réserve de quelques exceptions, la tendance des décisions rendues est favorable à ceux qui n’ont pas obtenu gain de cause dans l’ordre juridictionnel interne.

Il se produit une situation inattendue qui se manifeste par une victoire au niveau communautaire après un échec dans la juridiction nationale. En termes clairs, les mêmes violations de l’autorité administrative (violation des droits de la défense, présomption d’innocence,..) rejetées par les juridictions internes sont finalement sanctionnées par la juridiction communautaire. Assiste-t-on à une gifle retentissante du droit communautaire au droit interne?

En pareil cas, on le sait, le pouvoir en place regorge d’experts en interprétation abreuvés aux méthodes les plus dangereuses et les plus partisanes. Ils se réveilleront pour déverser les théories les plus fausses en tentant vainement de démontrer que l’État n’est pas obligé de respecter la décision rendue par un juge communautaire alors que la procédure est en cours dans l’ordre interne. Une telle position radicale ne manquera pas de créer des répercussions diplomatiques.

Respecter la décision du juge communautaire pour favoriser une diplomatie de bon voisinage

En dépit de la souveraineté des États, les pays membres de la CEDEAO n’apprécieront pas positivement la tendance pour un État de continuer à désobéir les décisions rendues  par un organe de justice d’une institution communautaire.

La réussite de l’intégration régionale ou sous-régionale est tributaire du respect des engagements des Etats membres. On ne pourrait s’engager dans un cadre d’intégration et mépriser les décisions prises. A-t-on besoin d’être diplomate pour comprendre que la diplomatie doit d’abord être construite sous l’angle du bon voisinage. Commencer à cultiver la paix et la stabilité au niveau des frontières, c’est respecter les décisions rendues par les juges communautaires pour éviter des rébellions de la part des États membres.


Cire Bâ

Citoyen sénégalais

E-mail : debat38@yahoo.fr 

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