L’insécurité règne encore en Casamance

Treize jeunes, partis en brousse à la recherche de bois, ont été tués, ce samedi, et six autres blessés, dont un gravement, dans la forêt de Boffa, dans les environs de la commune de Boutoupa Camaracounda (Ziguinchor). Ils ont été capturés par des hommes armés qui les ont froidement exécutés.

Depuis, les soupçons sont tournés vers les éléments du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), qui réclame l’indépendance depuis 1982. Dans un communiqué, le gouvernement du Sénégal a annoncé que “le chef de l’Etat (…) a immédiatement convoqué le Conseil national de sécurité (…), au Palais de la République.

(Il) a déjà instruit les forces de défense et de sécurité, activement engagées dans cette partie de la Basse Casamance, pour que force reste à la loi. Il a également ordonné que les auteurs de cet acte criminel soient recherchés et traduits en justice’’.

Le 31 décembre dernier, dans son message de nouvel an, le président de la République “disponible et ouvert à toutes et à tous, sur le chemin qui nous mène vers notre destin commun, dans l’unité et la paix’’, avait lancé “à nouveau, un appel solennel à tous nos compatriotes du MFDC pour la consolidation de la paix’’. “Consolidons la paix, car nos progrès sont déjà substantiels, par le dialogue confiant que nous avons poursuivi toutes ces années avec le soutien constant des facilitateurs, que je salue et apprécie.

Consolidons la paix, pour que les mesures d’accompagnement déjà initiées par le gouvernement soient confortées et produisent leur plein effet. Consolidons la paix, parce qu’une meilleure prise en charge des besoins de développement, dans l’équité territoriale et la justice sociale, s’offre à nous. Faisons enfin le pas décisif vers la paix définitive ; une paix sans vainqueurs, ni vaincus’’, disait Macky Sall.

Il y a une réelle volonté de l’Etat d’aller vers la paix. Tout récemment, l’Armée a libéré deux combattants du MFDC, qui étaient détenus dans un cantonnement militaire, à la suite d’une médiation initiée par la communauté de Sant’ Egidio de Rome entre l’Etat du Sénégal et les combattants du mouvement rebelle. La Casamance connait ces dernières années une accalmie.

L’on entendait presque plus parler des accrochages entre l’Armée nationale et le MFDC, ni des attaques dans des villages ou des braquages dont étaient souvent victimes les voyageurs. La paix est sur le point de gagner les esprits et les cœurs.

C’est une illusion peut-être, car le drame de ce samedi nous ramène à la triste réalité : l’insécurité règne encore dans cette Casamance où un citoyen désarmé court toujours le risque d’être froidement exécuté par des bandes armées. Ce drame signifie encore que le sang n’a pas fini de couler en Casamance depuis ce 26 décembre 1982 lorsque des manifestants envahissent la ville de Ziguinchor, prennent d’assaut la gouvernance, descendent le drapeau sénégalais et lancent des appels à l’indépendance. Plus de 30 ans après le déclenchement du conflit qui a entraîné le déplacement de milliers de populations, des centaines de morts, la Casamance vit aujourd’hui dans une situation de ni guerre ni paix qui ne peut plus perdurer.

Élu en 2000, le président Abdoulaye Wade avait promis de régler la question de la Casamance en 100 jours. La gestion du conflit a été alors marquée par la signature d’un accord de paix en 2004 et un travail de reconstruction conduit par l’Agence nationale pour la reconstruction des activités en Casamance (ANRAC).

Mais, sous l’ère Wade, l’on retiendra aussi la multiplication des “Messieurs Casamance’’, ministres ou présentés comme “des personnes d’influence’’ envoyés sur le terrain avec des mallettes d’argent pour acheter la paix auprès des maquisards. Cette stratégie a plutôt entraîné des frustrations au sein de la population et semé la division du MFDC.

A rebours d’une gestion au vu et au su de tout le monde, s’est mise en place une gestion plus discrète de la question de la Casamance depuis l’arrivée au pouvoir de Macky Sall, en 2012. Si le gouvernement a repris langue avec le MFDC par l’entremise de la communauté catholique Saint Egidio, l’on retiendra surtout une volonté du régime en place de faire la paix en Casamance en multipliant les gestes et les initiatives de développement en faveur de la région. Ainsi, gagner la bataille des cœurs et des esprits en faisant comprendre à la population que seul l’Etat central peut assurer sa protection et son bien-être.

Parmi les gestes du président de la République, l’on peut retenir sa tournée économique en Casamance en 2015, ponctuée par la tenue d’un Conseil des ministres délocalisés à Sédhiou. Ce séjour d’une semaine a été aussi marqué par l’inauguration de deux bateaux destinés à renforcer la liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor.

Ces deux transporteurs vont s’ajouter ainsi au navire Aline Sitoe Diatta qui assurait seul la desserte entre la capitale sénégalaise et la Casamance. Mieux, le gouvernement a subventionné le tarif du billet en le faisant passer de 10. 000 francs CFA à 5000 francs CFA. La Casamance a été décrétée “Zone de priorité nationale touristique’’ pendant les 10 prochaines années. Concrètement, il s’agit d’offrir des exonérations fiscales aux promoteurs touristiques qui investiront dans cette région qui fut jadis riche de son tourisme.

Pour attirer davantage les visiteurs en Casamance, le chef de l’Etat avais promis d’entreprendre des démarches diplomatiques auprès de la France afin que soit levée le placement de la région en “Zone orange’’ par le Quai d’Orsay. Avec une telle notation, la France avait déconseillé à ses ressortissants tout déplacement en Casamance, sauf motif impérieux. Cette démarche du gouvernement sénégalais a porté ses fruits.

Le ministère français des Affaires étrangères a annoncé la levée de cette mesure. Parmi les initiatives de développement en faveur de la région, il faut souligner le lancement en 2014 du Plan “Casamance : pôle de développement’’.

Le PPDC est présenté comme “une opération structurante de l’Etat du Sénégal en collaboration avec la Banque mondiale qui vise à développer le potentiel économique de la Casamance en vue d’améliorer les perspectives de paix durable dans la région’’. Ce projet d’appui à l’agriculture et au développement des chaînes de valeur met l’accent sur la promotion et la diversification de produits agricoles essentiels à fort potentiel de revenus et de sécurité alimentaire, le développement de plateformes économiques et de routes rurales permettant de connecter les zones de production et les petits producteurs aux marchés.

Les collectivités de la Casamance peuvent aussi trouver un cadre d’épanouissement dans le cadre de l’Acte 3 de la décentralisation qui veut impulser une dynamique de développement à partir des territoires. Cette grande réforme lancée en 2014 veut donner aux collectivités locales une certaine autonomie dans la gestion de proximité des problèmes des populations. S

i ces différentes initiatives peuvent permettre au gouvernement de gagner bataille des cœurs et des esprits des populations de la Casamance, il faut aussi poursuivre les négociations, menées loin des regards, avec un MFDC parlant d’une même voix. Il y a de hauts responsables du mouvement qui sont ouverts au dialogue avec l’Etat. Par contre Salif Sadio, chef de l’aile Nord du MFDC basé vers la Gambie, demeure toujours un irréductible qui ne jure que par l’indépendance de la Casamance comme on l’a vu claironner à France 24 dans l’émission “Billet retour’’.

 

        Ousmane Ibrahima Dia

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