Le petit commerce, territoire guinéen au Sénégal (Par Sarata Camara)

La force de la présence guinéenne à Dakar, nourrie et entretenue par la proximité géographique et culturelle, se traduit par le contrôle exercé par les ressortissants guinéens sur le petit commerce. Un quasi-monopole aux racines profondes.

Les Guinéens, une des plus fortes communautés étrangères établies au Sénégal, tiennent de main de maître certains secteurs du commerce informel à Dakar.

Il se remarque facilement qu’ils sont propriétaires de la plupart des boutiques de vente au détail. Les ressortissants guinéens sont tout aussi présents dans la vente de fruits et de légumes dans les marchés, de café dans les rues, de jus de coco aux abords des plages.

De même sont-ils très présents dans la vente des cartes de recharge téléphonique, de charbon de bois, d’arachide grillée, jusqu’aux sachets d’eau.

Les fruits, les légumes, le pain, produits de consommation essentiels, sont aussi sous le contrôle des ressortissants guinéens au Sénégal, autant de secteurs désormais quasiment abandonnés par les commerçants sénégalais.

Ibrahima Sory Camara, un citoyen guinéen de 70 ans, installé à Dakar depuis trois ans, n’a pour seule activité au Sénégal que la vente de légumes au marché de Castors, connu pour être un centre d’approvisionnement privilégié de certains ménages de la capitale sénégalaise.

‘’Nous sommes tous venus les uns après les autres. Ici, c’est un grand marché dont la fréquentation assure des bénéfices importants. C’est pourquoi nous sommes assez nombreux ici’’, confie le vieil homme, entouré pour une partie de thé d’une dizaine de ses compatriotes, tous vendeurs de légumes.

A Castors, impossible de faire plus de deux pas sans entendre une langue nationale guinéenne

A quelques mètres du magasin d’Ibrahima Sory Camara, Fatoumata Camara est en train de marchander avec des clients en wolof, langue la plus parlée au Sénégal.

Cette Guinéenne de 25 ans, installée à Dakar depuis sept ans, subvient aux besoins de sa famille restée au pays grâce à son commerce de légumes. Elle n’a donc presque pas de temps à perdre pour un entretien.

‘’Nous sommes assez nombreux ici, mais nous nous connaissons tous et nous nous entraidons’’, explique la jeune femme, pressée de répondre aux sollicitations de ses clients.

Selon elle, cette forte concentration de ressortissants guinéens à Castors, plutôt que de créer un esprit de concurrence, a favorisé l’instauration de mécanismes de solidarité.

‘’Si l’un d’entre nous se trouve dans une situation difficile ou fait face à un cas social, nous nous manifestons tous. Nous sommes une famille ici’’, dit-elle avant de signaler la création d’une association baptisée ‘’Séré Lumière’’.

Cette association créée il y a cinq ans n’est composée que de commerçantes guinéennes du marché de Castors. Mamasta Camara en est membre.

Installée à Dakar depuis 30 ans, elle exerce dans la restauration. ‘’Je ne vends que des plats guinéens. Etant donné que nous sommes assez nombreux dans ce marché, mon commerce marche bien. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai fait venir ma jeune sœur de la Guinée’’, explique-t-elle.

Nabinty Camara, la sœur en question, continue pourtant de faire la navette entre Dakar et Conakry, preuve que l’axe reliant les deux capitales compte parmi les lignes de migration intérieure les plus denses en Afrique de l’Ouest.

‘’Quand je fais le commerce depuis quelques années ici, je retourne en Guinée auprès de mon mari et de mes enfants. Ensuite, je suis encore obligée de revenir au Sénégal pour continuer mon commerce’’, confie-t-elle tout en épluchant des légumes.

Rue Sandiniéry, place forte de la présence guinéenne

Castors, mais surtout la rue Sandiniéry, en plein centre-ville dakarois, symbolise plus qu’ailleurs la force de la présence guinéenne dans la capitale sénégalaise, cette voie marchande étant totalement quadrillée par des ressortissants guinéens spécialisés dans la vente de fruits.

‘’Il arrive que des Sénégalais s’essaient à la vente de fruits ici, mais ils abandonnent aussitôt. Ils ne peuvent pas supporter la concurrence des Guinéens qui maîtrisent parfaitement la vente et surtout la conservation des fruits. Ce qui fait que nous détenons le monopole de la vente de fruits dans ce marché’’, souligne Fallou Bah, un Guinéen opérant sur place.

A la rue Sandiniéry, les Guinéens sont comme chez eux. ‘’Ce marché a été créé par les Guinéens. Il existe depuis le temps de [Léopold Sédar] Senghor’’, premier président du Sénégal indépendant de 1960 à 1981. ‘’C’est donc notre fief. Partout où tu dis rue Sandiniéry, on te dira que ce sont les Guinéens qui y sont’’, dit Diallo Thierno Sadou, vendeur de fruits.

Pour ce Guinéen de 27 ans, ‘’en Guinée ce n’est pas facile de faire fortune, on est donc obligé de sortir. Ici au Sénégal, il suffit juste de travailler pour gagner de l’argent.’’

Les fruits écoulés à Sandiniéry sont pour la plupart importés et viennent d’un peu partout. Il arrive ainsi très souvent de trouver des jeunes, tous venus de la Guinée, en train de décharger des conteneurs de fruits. Des cartons et des cartons de fruits qu’ils ventilent à travers les échoppes.

‘’Généralement, quand on est arrivé fraîchement au Sénégal, on a forcément un frère ou quelqu’un de notre village qui habite déjà ici. C’est ce parent qui nous héberge pour un temps et qui nous initie au commerce’’, explique Diallo Thierno Sadou, après avoir fini de remercier un jeune déchargeur.

Alpha Bah par exemple, qui habite Dakar depuis 2000, est vendeur de fruits pour le compte de son grand frère. ’’Dans notre magasin, dit ce jeune Guinéen de 24 ans, nous sommes tous de la même famille. Nous travaillons tous pour notre aîné.’’

Les Guinéens, maîtres dans la distribution de pain à Dakar

C’est peut-être qu’il semble plus facile de se mettre à son propre compte dans le secteur de la distribution de pain, que les nationaux semblent avoir abandonné aux Guinéens.

’’Les Sénégalais sous-estiment ce travail. Les Guinéens, eux, s’y connaissent bien. Je suis sûr que si les Sénégalais savaient ce que ça donne, le monopole ne serait pas aujourd’hui aux Guinéens’’, fait observer Alassane, actif dans ce créneau.

A 18 ans, Mamadou Mouctar Barry travaille lui aussi dans la distribution de pain. Une activité qui ‘’paye bien’’, concède-t-il, sans en dire davantage, avant de s’emparer de son charriot de fortune contenant des pains à distribuer.

‘’C’est un travail que les Sénégalais négligent, mais nous, on sait que c’est rentable. Depuis mon arrivée au Sénégal il y a un an, je ne fais que ça comme travail’’, renchérit Saliou, dont les horaires de travail sont pour le moins flexibles : tous les matins de 6 à 9 h, les soirs de 16 à 18 h.

Pour tout dire, les ressortissants guinéens tiennent la quasi-totalité des boutiques, tiennent des tables pour la vente de fruits et de légumes, vendent des beignets, du café dans les rues dakaroises.

‘’Si nous sommes fortement représentés dans le commerce à Dakar, c’est parce que c’est un domaine que nous maîtrisons bien. Et pour gagner de l’argent, mieux vaut exercer une activité que l’on maîtrise’’, tente d’expliquer Moustapha, vendeur de café et cireur de chaussures à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar.

De ce fait, la vente de café se présente comme la porte d’entrée des ressortissants guinéens dans le petit commerce au Sénégal.

Dans les rues, coins et recoins de Dakar, les vendeurs d’origine guinéenne et leurs poussettes de café font le décor de la capitale sénégalaise. Ils sont tout aussi présents dans ce créneau que dans les autres.

Mieux, ils font désormais figure de pionniers, avec la montée de la mode du ‘’café Touba’’, un genre de café local dont la vente reste l’apanage de jeunes Sénégalais.

‘’Pour les Sénégalais, vendre du café est un travail insignifiant. Mais nous, on ne peut pas penser ainsi. Quand on quitte son pays pour un autre, peu importe le travail que l’on fait, si ce n’est pas du vol, ça va’’, philosophe Oury Bah, un ressortissant guinéen qui s’active dans la vente de café depuis 2007, une activité qu’il exerce à quelques mètres du siège du ministère du Travail.

Comme pour Oury, la vente de café est la seule activité exercée par Oumar Diallo à Dakar. « Le Sénégalais n’aime pas les petits boulots. Par contre, pour nous, aucun travail n’est banal. Nous sommes étrangers au Sénégal et nous ne cherchons que de l’argent’’, dit ce Guinéen de 25 ans, dans la vente de café depuis 2015.

Un avis tout à fait partagé par Boubacar Bah, 23 ans. ‘’Lorsqu’on est étranger dans un pays, aucun travail n’est à minimiser’’, pense ce jeune homme trouvé à place de l’Indépendance, en plein centre-ville de Dakar, où il s’adonne habituellement à la vente de café.

Il assure que cette activité lui procure des revenus ‘’suffisants’’ depuis 2006. ‘’C’est avec ce commerce que je parviens à soutenir financièrement mes parents restés au pays.’’

Boubacar Bah ajoute qu’il compte beaucoup d’amis vendeurs de café, ‘’tous venus de la Guinée’’. ‘’Le plus souvent, poursuit-il, avant de commencer, on demande conseil à ceux qui font ce travail depuis un certain nombre d’années.’’

Ce que confirme Moustapha Diallo, installé à l’entrée de l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. ‘’Dès ma venue au Sénégal, je me suis rapproché de mes compatriotes déjà installés ici. Ils sont tous vendeurs de café dans les rues. Étant donné qu’ils s’en sortent bien, je me suis aussi lancé. Et Alhamdoulilah, je ne regrette pas mon choix’’.

 

 


SC/BK/ASG/ESF – APS

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