Kédougou – Pauvreté et insécurité alimentaire : Le gouverneur explore une mine de mesures

Dans cet entretien accordé au journal LeQuotidien, William Manel, gouverneur de Kédougou, parle de l’exploitation de l’or, de la lutte contre la pauvreté et de l’insécurité alimentaire.

William Manel, gouverneur de la région de Kédougou : «La lutte contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire dépendra de l’engagement des chefs de ménage».william-manel-gouverneur-de-kedougou

M. le gouverneur, le Pse incite les populations à se tourner vers l’agriculture. Tel n’est pas le cas dans le département de Saraya qui abrite le bassin minier de la région…

Voilà, ça c’est le problème. Il n’y a pas longtemps j’ai reçu des orpailleurs dans mon bureau. Ils étaient venus me voir pour me demander de lever la fermeture sous prétexte qu’il est trop tard pour s’adonner à l’agriculture. Je leur ai dit que l’année passée, la décision était claire. Désormais, tous les ans à partir de juin, on va procéder à la fermeture des sites d’orpaillage traditionnels. Mais c’est regrettable. Ils ne cultivent pas. C’est des gens qui ont tourné le dos à l’agriculture. Nous voulons à travers ces mesures leur faire comprendre qu’ils peuvent explorer l’or pendant 9 mois et cultiver au moins pendant les 3 mois de l’hivernage, d’autant plus que l’année dernière par exemple, nous avions une batterie de mesures d’accompagnement et de soutien à l’agriculture. Et ceux qui ont cultivé l’année dernière ne l’ont pas regretté. Les orpailleurs disent que ce qu’ils gagnent avec l’orpaillage, ils ne le gagneront jamais avec l’agriculture. Mais c’est un combat qu’il faut mener parce qu’il faut que Kédougou diversifie l’offre économique. La région ne doit pas seulement se limiter à l’exploitation des mines.

L’Etat est en train de faire des efforts consistants dans le secteur de l’agriculture pour atteindre l’autosuffisance. Aujourd’hui, est-ce que la région suit ?

Ah ! Parfaitement, la région est en train de suivre. Pour la campagne agricole 2014-2015, on a triplé nos productions dans toutes les productions. C’est la moyenne. Une manière de vous dire que l’appel du chef de l’Etat a bien été entendu à Kédougou. Nous nourrissons l’espoir de faire une réalité le slogan «Kédougou nourrit Kédougou». C’est tout à fait possible. Et comme vous l’avez dit tout à l’heure, si les orpailleurs acceptent pendant trois à quatre mois de s’adonner à l’agriculture, ce sera une très bonne chose, car cela va renforcer les superficies emblavées, les productions et les rendements. Nous sommes dans cette phase et il faut saluer l’initiative du gouvernement d’accompagner le secteur agricole.
Par ailleurs, il est vrai que la préoccupation reste la mécanisation avec du matériel agricole lourd (les tracteurs). C’est ce que nous attendons. Tout récemment avec la visite du ministre de l’Agriculture, on l’a évoquée. Il a promis de faire quelque chose. Il faut également dire que nos agriculteurs ne sont pas bien organisés. Ce sont des organisations de producteurs qui doivent d’abord cotiser, déposer un fonds ensuite demander du matériel. On a eu une faible demande avec 8 producteurs pour toute la région. Mais nous fondons cet espoir que les choses vont progresser dans le bon sens.KONICA MINOLTA DIGITAL CAMERA

M. le gouverneur, l’insécurité alimentaire est une réalité dans la zone. Dans un récent rapport, l’Oms avait parlé de la malnutrition persistante dans la région de Kédougou…  
Personnellement, je n’ai pas encore vu ce rapport. Mais je dis toujours que Kédougou est un paradoxe économique. Parce que du point de vue potentialités, nous avons tout ce qu’il nous faut. Nous avons de bonnes terres fertiles, la pluie sur 4 à 5 mois. Bref, on a tout ce dont on a besoin pour que chaque Kédovin puisse se nourrir dans de bonnes conditions. Malheureusement, nous faisons partie des trois ou quatre régions les plus pauvres du Sénégal. Et cela se traduit par la malnutrition, l’insécurité alimentaire, entre autres. Je me dis qu’il y a deux niveaux d’analyse : il y a le niveau personnel. Chaque père de famille doit se dire qu’il doit se battre pour nourrir sa famille dans de bonnes conditions. Pour ce faire, l’agriculture est un bon moyen pour y parvenir.
Dans le secteur de la sécurité alimentaire, on a 6 ou 7 acteurs de l’Etat qui s’activent dans la région. Je ne parle même pas des projets et programmes qui interviennent aussi dans ce domaine. Jusqu’à présent, on a du mal à régler la question de la sécurité alimentaire et de la malnutrition. Il faut qu’on change de stratégie. Pendant longtemps, l’accompagnement était de donner des vivres aux populations. A chaque fois en août, septembre où c’est plus difficile, on donne des vivres. Cette façon de faire a abouti à une certaine dépendance. Les gens ont pensé qu’à chaque fois qu’ils ont faim, l’Etat sera là pour les accorder du riz et autres.
Depuis quelques années, il y a du renouveau dans ce secteur. Maintenant, on apprend aux ménages les bonnes pratiques culturales. On les apprend à produire, à cultiver et à favoriser les aliments riches en micronutriments pour nourrir leurs familles dans de bonnes conditions. C’est un tout. Il faut que chacun s’y mette. Il faut que les pères de famille acceptent de se sacrifier pour leurs enfants afin de leur permettre de manger dans de bonnes conditions. Il faut également que les projets et programmes qui interviennent dans ce domaine à Kédougou produisent des résultats probants. Personnellement, j’y veille. Je suis convaincu que la lutte contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire dépendra forcément de l’engagement des chefs de ménage.

Vous avez parlé de désenclavement. Où en sont les travaux de construction de la route Kédougou-Salé­mata qui devait démarrer depuis l’an dernier ?
On nous a promis cela il y a de cela quelques mois. C’est vrai qu’il y a eu quelques retards que nous déplorons tous. Moi en premier, parce que c’est un département que j’apprécie beaucoup et pour lequel je me bats au quotidien pour non seulement le Crd, mais que les interventions soient présentes dans cette circonscription. Maintenant, depuis pres­que deux mois quand même les choses bougent. Même si les travaux proprement dits n’ont pas encore démarré. Les préalables sont en train d’être mis en place. D’abord, les commissions de recensement des impenses ont déjà fait leur travail et produit des rapports qu’on va transmettre à l’Ageroute pour le paiement des bénéficiaires. Les dénotations sont en train d’être faites aussi de Kédougou à Salémata.
A la suite du Conseil des ministres décentralisé à Kédougou, les populations attendent toujours les retombées…
Les retombées les plus visibles sont les infrastructures qui ont été mises sur place. Il s’agit entre autres de la nouvelle gouvernance, du commissariat de police, du lycée départemental de Ké­dou­gou, du pont de Fongolimbi, de la construction de l’Inspection d’académie, la préfecture de Saraya. Il y a également d’autres infrastructures qui sont en cours de réalisation. En plus d’autres investissements comme la mise en place du Dac d’Itato, de certains projets comme le P2rs. Donc, beaucoup de choses ont été ou sont en train d’être réalisées à la suite des conclusions du Conseil des ministres décentralisé de 2014. Maintenant, comme vous le savez, le chef de l’Etat a demandé à ce qu’une évaluation pertinente et sérieuse soit faite par rapport à la mise en œuvre de ces décisions du Conseil interministériel. Nous y sommes. Des correspondances ont été en­voyées à tous les chefs de service, projet et programme de l’Etat pour que chacun dans son secteur puisse nous faire part de la situation depuis le Conseil ministériel.
En plus, on a demandé à chaque chef de secteur de nous faire remonter les demandes les plus pressantes dans son domaine. Dans les perspectives, on va y mettre la construction de l’hôpital régional dont le site a été localisé dans la commune de Dimboli. La construction du stade régional, l’espace numérique dont le budget est déjà prêt. On n’attend que le site. La route de Salémata également en fait partie. Donc, c’est dire que les choses sont en train de se mettre en place. Et toutes ces réalisations vont relever le taux de réalisation. J’ai entendu un taux (22%) via la presse. Ce n’est pas le taux réel. Le taux de réalisation est largement au-dessus de ça. On attend la fin de l’évaluation qui est en vue pour vous donner les chiffres officiels.

Kédougou est une région minière. Est-ce que les populations bénéficient des retombées économiques de l’exploitation des ressources du sous-sol ?
Ah, si. Et je pus vous dire beaucoup même. Vous savez, je suis peut-être mal placé pour en parler, mais rien que les Collectivités locales qui sont dans le département de Saraya disposent de conventions dans plusieurs secteurs qui sont signées chaque année avec les sociétés minières. Lorsqu’on évalue le coût financier de ces conventions, elles se chiffrent à des centaines de millions de francs Cfa. Ces fonds sont injectés directement dans les Collectivités locales. Ce, compte non tenu de l’assistance qui peut être apportée par rapport à telle ou telle chose. Il y a beaucoup de constructions d’écoles aussi qui sont réalisées à travers la région. C’est peut-être mal expliqué. C’est pourquoi les gens ne comprennent pas.
Je suis à l’origine des conventions qui sont en train d’être mises en œuvre. Parce qu’avant quand une Collectivité locale avait besoin de quelque chose, elle allait directement voir la compagnie minière. A mon arrivée, j’ai trouvé que ce n’était pas une bonne approche. Je leur ai demandé de contractualiser pour que les rapports Collectivités locales/compagnies minières soient basés sur quelque chose de solide. C’est ce qui nous vaut ces conventions. En plus, il y a ce que vous appelez le programme social minier ou pour d’autres fonds social minier. A ce sujet, les populations doivent comprendre que ce fonds n’est pas destiné à la région de Kédougou uniquement. C’est un fonds de l’Etat du Sénégal. Il participe à construire des choses à Dakar, à Tamba etc. C’est comme ça que cela se passe. C’est une péréquation qui est faite à l’échelle nationale. Les populations pensent que parce que l’or est extrait à Kédougou, donc tout l’argent revient à Kédougou. Non ! Ce n’est pas le cas. C’est une manne financière qui est injectée dans le budget de l’Etat du Sénégal.

Vous avez parlé de stratégie géostratégique et géopolitique. Est-ce qu’en ce sens des démarches ont été entamées avec les gouverneurs des autres régions pour gérer certains aspects liés à la porosité des frontières ?
Avec le Mali, nous avons une coopération formalisée. On a un groupe de travail qui concerne tous les gouverneurs et tous les préfets de la zone. On se réunit régulièrement pour réfléchir sur des stratégies transfrontalières, aussi bien dans le cadre de la libre circulation des personnes et leurs biens que de la gestion des ressources naturelles et autres. C’est une coopération dynamique et très fonctionnelle.
Avec la Guinée Conakry, c’est plutôt des relations personnelles. J’ai eu la chance de participer à un séminaire international à Labé en Guinée. Cela m’a permis de nouer des contacts avec mon collègue de cette région guinéenne, également le préfet de Mali. Cette collaboration nous permet de se parler régulièrement. A chaque fois qu’il y a des problèmes, on parvient à les gérer au téléphone. Mais cette relation n’est pas aussi formalisée qu’avec le Mali. Mais c’est une collaboration fonctionnelle qui nous permet de gérer nos populations de part et d’autre de la frontière.

LeQuotidien

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