Enquête sur l’insécurité alimentaire dans le Nord du Sénégal

Kanel est au cœur de la région de Matam. A cheval entre les riches terres du Walo qu’arrose le fleuve et la zone du Ferlo, le département subit cette année de plein fouet les effets du changement climatique. Un hivernage précocement arrêté s’est ajouté à une faible crue du fleuve. Du coup, les ménages déjà vulnérables touchent le fond. Reportage dans le quartier de Thielol où des vivres de soudure ont commencé à être distribués par la Commission nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa). Ce dossier a été réalisé grâce au soutien du Programme éthique et excellence dans le journalisme (Eej) d’Ejicom.Insécurité alimentaire à Matam

Le vent qui souffle en rafale soulève des nuages de poussière, mais installe aussi des températures plus que clémentes. Les habitants qui goûtent aux premières rigueurs de la saison froide circulent emmitouflés dans de vastes écharpes. Nez et bouche recouverts, ils tentent d’échapper à ces nuages de sable. Dans le quartier de Thielol à Kanel, les rues sont parfois sinueuses. Les maisons, vieilles et lugubres, surgissent au détour d’un chemin. Dans la maison du chef de quartier, deux femmes sont installées dans la cour. Elles sont absorbées par une séance de henné. L’une sculptant de blanches arabesques sur la main tendue de l’autre. A côté, de jeunes garçons font bouillir une théière et servent de temps à autre une tasse fumante aux senteurs mentholées. C’est une matinée ordinaire dans un hameau du Fouta.

Dans la ruelle qui mène à cette maison, une vieille femme, sachet en plastique à la main, ramasse du petit bois. Kadia Saidou marche sur ses 60 ans. Veuve depuis dix ans, elle peine à joindre les deux bouts. Pendant que tout le quartier est envahi par les senteurs échappées des marmites où mijote le repas de midi, Kadia cherche encore à réunir le nécessaire pour, à son tour, se mettre devant la marmite. «Depuis ce matin, je cherche de quoi acheter des condiments. Je viens juste de trouver. Je cherche donc du petit bois pour le feu», explique la vieille femme, emmitouflée dans plusieurs couches de vêtement.

Maman de jeunes enfants, elle cherche la queue du diable. «Je me débrouille pour manger. Si je ne trouve rien, je vais chez mes voisins», explique-t-elle. Oumou Ba est beaucoup plus jeune que Kadia Saidou. Mais elles rencontrent les mêmes difficultés. La cinquantaine, Oumou Ba est aussi veuve avec de jeunes enfants. «Hier, je n’ai pas fait la cuisine. Et aujourd’hui, pour pouvoir préparer un repas, j’ai dû vendre 4 kg de riz pour acheter du poisson et des légumes», explique la dame installée devant sa marmite. Autour d’elle, deux bâtiments se partagent l’espace.

Délabré, les fenêtres de guingois, les portes arrachées de leur gong, le décor est assez illustratif de la situation que vit la dame. «Parfois, les gens remarquent que je n’ai pas fait la cuisine et ils m’envoient leurs restes», précise-t-elle. Dans sa maison, elle héberge quelques jeunes apprenants coraniques. Tantôt, dit-elle, quand elle trouve les moyens de faire le repas, elle partage avec ces «talibé». Tantôt, elle même vit de la fortune du bol de ces derniers, les repas qu’ils auront glanés dans tout le quartier étant la seule nourriture de la famille. Malgré ces aléas, Oumou garde son sourire de porcelaine, mis en valeur par le noir profond des tatouages qui ornent ses lèvres.

Dans Thielol, le détour d’une ruelle peut révéler une immense bâtisse à étage, ornée de larges fenêtres et où des rideaux colorés s’agitent au vent. Mais la ruelle peut également s’ouvrir sur une maison sommaire que ne protège aucun mur de clôture. A la place, des piquets reliés par une brique à braque de tôles, de nattes et même de vêtements usagés. La maison est celle de Oumar Sow. Pendant des années, il a cherché fortune en Côte d’Ivoire.

De retour chez lui, il vit au jour le jour. Cultivateur, sa subsistance dépendait des récoltes qu’il pouvait faire sur son champ loué sur la cuvette de Kanel. Mais cette année, les faibles pluviométries enregistrées sur le bassin du fleuve n’ont pas permis d’inonder ces cuvettes de décantation qui bordent le fleuve et qui, au moment du retrait de la crue, livrent des terres riches en limon, à la houe des paysans toucouleurs. «Sur le champs qu’on me prêtait sur la cuvette de Kanel, je faisais du sorgho et un peu de niébé.

C’est avec ces récoltes que je pouvais nourrir ma famille jusqu’à l’approche de l’hivernage», explique M. Sow, croisé au détour d’un chemin. «Je rentre à la maison parce que j’ai pu réunir de quoi assurer le repas du jour», dit-il. Sa femme, Ama Sall, recroquevillé dans l’antichambre de la maison, surveille sa petite fille en train d’attiser le feu. Les doigts occupés à trier le riz d’une calebasse, elle explique que dans la famille il ne peut y avoir plus d’un seul repas par jour : «Quand on cuisine le déjeuner, on réserve une partie pour le dîner.» Chez le vieux Demba Bayla, même cette forme d’adaptation est un luxe.

La famille ne mange qu’une fois par jour : «Je ne me souviens plus de la dernière fois où j’ai pris le petit déjeuner. On fait le déjeuner et s’il en reste, on le garde pour les enfants. Les autres attendent le lendemain.» Assis au bord de la route qui mène vers le marché, le vieux Demba va fêter ses 80 ans l’année prochaine. De son regard voilé, il surveille son petit panier de colas.

Un petit commerce qui lui permet de récolter quelques pièces, mais surtout, dit-il, de croiser le chemin de personnes plus nanties que lui pour leur soutirer quelques pièces. «J’ai un fils et une femme qui sont des malades mentaux. J’ai aussi ma fille et ses cinq enfants qui sont à ma charge», dit-il. Comme tous les autres, il n’a pas de fils ou de fille émigré. Son unique source de revenus, l’agriculture sous pluie. «Cette année, j’ai cultivé mon champs. Tout avait bien commencé, mais avec la longue pause pluviométrique, tout a séché», souligne le vieillard dont la vue de plus en plus basse annonce une prochaine retraite.

Très souvent, les personnes affectées par l’insécurité alimentaire sont des femmes seules ayant perdu leur mari. C’est le cas de Aïssata Alpha. Veuve depuis 2007, elle vit de la générosité des autres avec ses enfants en bas age. «Mon mari était un émigré. Il m’envoyait de l’argent et prenait soin de moi et de mes enfants. Mais c’est quand il est mort que mes problèmes ont commencé», explique-t-elle.

Accéder aux soins, un luxe

Pour ces familles qui peinent à assurer la survie de leurs enfants, accéder à des soins de santé est encore plus difficile. Sourire en coin, Aïssata Alpha dit ne jurer que par le paracétamol. Elle en donne à ses enfants pour tous leurs maux, histoire d’éviter d’aller jusqu’au poste de santé et ses ordonnances onéreuses, dit-elle. «Sinon je demande à quelqu’un de me payer la consultation et l’ordonnance.» De même, quand l’insécurité alimentaire frappe aux portes, les animaux domestiques sont les premiers à être mis en marché. «Quand mon garçon est tombé malade, j’ai vendu tous mes moutons. Aujourd’hui, il n’y a même pas une poule dans ma maison», explique Kadia Saidou.

Chaque année, le Fouta reçoit des milliards de francs Cfa de ses fils expatriés. D’un village à un autre, des îlots de prospérité émergent. Mais en dessous, il est difficile de cacher cette vulnérabilité qui gagne du terrain devant la fermeture des frontières dans les pays occidentaux, le chômage des jeunes, mais aussi les aléas liés au changement climatique.

Le quartier de Thielol à Kanel en est une illustration. Et pour le chef de quartier, Moussa Amadou Daff, la situation est très préoccupante : «Il y a beaucoup de familles dans le quartier qui restent deux jours sans faire la cuisine.» Généralement sans «émigré» pour leur envoyer de l’argent, elles vivent de leur débrouillardise, mais aussi de la générosité des parents et des voisins.

Au total, ce sont 400 tonnes de riz qui ont déjà été distribuées par le Conseil national de la sécurité alimentaire (Cnsa) dans le département sur un quota de 1 400 tonnes. Avec ces vivres, les 173 familles bénéficiaires de Thielol peuvent souffler quelques semaines.


Face à la situation : Matam élabore un plan d’urgence

Face à la situation qui risque de dégainer si rien n’est fait, les autorités ont fini par s’organiser. Ainsi, sous la houlette du gouverneur de la région de Matam, un plan d’urgence a été mis en place. Les premiers éléments commencent même à être exécutés.

Si rien n’est fait, les prochains mois risquent d’être difficiles pour les populations les plus vulnérables de la région de Matam. Avec un hivernage tronqué et qui s’est achevé bien trop tôt, une crue inexistante, la période de soudure pourrait déboucher sur une crise alimentaire de grande ampleur. Mais c’est après quelques tergiversations que les autorités ont pris la mesure de la menace et décidé de prendre des initiatives. «Il y a quelques mois, nous avions analysé la campagne agricole et il y avait un certain nombre d’aléas qui méritaient d’être pris en compte pour anticiper des mois difficiles. Les aléas, c’est le fait que cette année on a eu une saison hivernale qui s’est arrêtée très tôt. Les techniciens parleront de déficit pluviométrique. Le deuxième élément, c’est que le fleuve n’a pas connu ses hauteurs habituelles. Et comme c’est à partir du fleuve que l’on pratiquait les cultures de décrue, cette année, elles ne peuvent pas être envisagées», explique le gouverneur de la région de Matam, Oumar Mamadou Baldé. A ces aléas s’est ajoutée une invasion d’oiseaux granivores qui ont eu le temps de faire quelques dégâts avant d’être anéantis. Pour faire face à cette situation, un plan d’urgence a été mis en place. Selon le gouverneur, il comporte des réponses pour éviter une dégradation de la situation alimentaire. Ainsi, pour les populations des zones où les cultures de décrue ne pourront pas se faire cette année, les autorités envisagent «à la place une campagne de contre-saison céréalière pour permettre aux agriculteurs de faire du mil, du sorgho, du niébé, du maïs, des pastèques», explique le gouverneur. Ce programme qui est entièrement pris en charge par l’Etat en termes de semences et d’intrants est déjà en cours d’exécution avec une distribution de 200t de semences de niébé et 100t de sorgho. Autre parade envisagée, la mise en place d’une contre-saison chaude pour le riz. «Elle démarre en février mars, mais d’ici là, des instructions ont été données à la Saed pour conduire un certain nombre de travaux pour réhabiliter les aménagements.» En plus, indique M. Baldé, un soutien est envisagé en termes de semences de riz et d’engrais : «Il y a une partie du Diéri et du Walo où nous ne pouvons pas faire arriver l’irrigation alors que ces gens avaient perdu leurs récoltes. Pour ça, une évaluation systématique a été faite et nous avons envoyé à la Primature l’expression de besoins pour le soutien. Quand elle va évaluer la situation, ils vont affecter à chaque région des quotas que nous distribuerons par le biais de commissions que les sous-préfets vont installer.» Mais à côté de l’Etat, des Ong et des organisations internationales interviennent déjà sur le terrain. C’est le cas du Programme alimentaire mondiale (Pam) qui distribue des bons alimentaires aux ménages vulnérables. Sidath vit dans le quartier de Soubalo à Matam. Il explique avoir reçu un bon d’une valeur de 40 mille F qu’il a récupéré auprès des commerçants. En plus de Matam, Podor et Louga sont également ciblées dans ces opérations de cash transfert. Moulaye Diallo d’Acf explique qu’il s’agit de donner 5 000f par personne et jusqu’à 8 personnes par ménage pendant les trois mois de soudure entre septembre et novembre. Les bourses familiales contribuent également à la prise en charge des personnes vulnérables. Kadia Soulèye vit dans le quartier de Thielol à Kanel. Veuve et mère de plusieurs jeunes enfants, elle reçoit 25 mille F tous les trois mois. «Les 25 mille servent à rembourser les dettes que j’ai contractées un peu partout. Parfois, ça ne suffit même pas à tout rembourser, mais au moins je peux continuer à emprunter», explique-t-elle. Pour le vieux Demba Bayla, l’argent de la bourse est partagé entre ses enfants élèves et étudiants installés entre Saint-Louis et Dakar. Pour Sidath, qui vit à Matam, l’argent est automatiquement utilisé pour acheter des vivres. Au total, 12 mille 977 ménages reçoivent une Bourse de sécurité familiale à Matam, explique Mamadou Boye Diallo, responsable de la structure. Parmi ces habitants, 10 mille 352 sont bénéficiaires de cartes Yaakaar et 2 625 de cartes d’égalité de chances.

 

       Mame Woury THIOUBOU – LeQuotidien

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