El Hadji Seydou Nourou TALL (Rta) : L’homme de confiance, le médiateur (25 janvier 1980 – 25 janvier 2018)

Il y a 38 ans, disparaissait El Hadji Seydou Nourou Tall (Rta), affectueusement surnommé « Thierno ». L’évocation de cet évènement nous offre l’opportunité de revenir sur la vie et l’itinéraire de ce petit-fils d’El Hadji Omar Foutiyou Tall (Rta) qui a marqué son époque. El Hadji Seydou Nourou Tall (Rta) serait né en l’an 1868, c’est-à-dire quatre ans après la disparition de son noble aïeul, en 1864.

Il est le fils de Nourou Tall et d’Aïssata Kamissoko (fille du roi de Gadugu), originaire du cercle de Kita (Mali actuel) ; son nom est rattaché à ceux plus prestigieux de l’Islam ouest africain : El Hadji Omar (par son père), Mouhamed Bello (par sa grand-mère maternelle) et Soundiata, de façon plus légendaire (par sa mère).

Il étudia auprès des marabouts tijani, enseignants du Soudan français. Puis, sa quête du savoir l’amena à quitter sa patrie pour le sud de la Mauritanie, à Boghé, où il s’initia au droit islamique aux côtés du cadi Ahmadou Moukhtar Sakho (Rta). Par sa dévotion, Seydou Nourou était devenu l’homme de confiance de son maître. Ce dernier lui avait confié la gestion de ses champs, de sa bibliothèque et l’entretien de sa demeure familiale, « Galle Mawdo ».

Alors qu’il était désigné pour reprendre la direction de l’école « le Dudal Galle Sakhobe », Seydou Nourou Tall (Rta) décida de se rendre à Saint-Louis du Sénégal auprès de Serigne Babacar Sy (Rta) qui l’introduisit auprès de son père, Seydil Hadji Malick Sy (Rta).

Sa rencontre avec le saint homme relève du destin de Dieu. A l’époque, Thierno avait dépassé la cinquantaine. Son maître devant s’absenter pour un voyage, lui avait confié provisoirement la direction collégiale de l’école, avec un autre grand disciple. Durant cette période, l’école fut saisie d’une consultation juridique sur un problème d’héritage : Seydou Nourou et son co-directeur du moment émirent des avis différents sur la question. Interpellé pour départager les deux hommes, Seydil Hadji Malick Sy (Rta) magnifia la pertinence des deux avis, mais donna raison à Seydou Nourou.

Au retour du voyage de Ahmadou Moukhtar Sakho, Seydou Nourou lui manifesta auprès son désir d’aller retrouver ce nouveau maître. Après discussions, le maître Sakho lui donna sa bénédiction et lui remit une lettre d’introduction auprès de Seydil Hadji Malick Sy (Rta).

Ouvrons, ici, une parenthèse pour évoquer le témoignage de Cheikh Ahmadou Moukhtar Sakho sur le saint homme de Tivaouane, tel que relaté par Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh dans son « Diwan » :

« J’ai appris de notre maître, le remplaçant de notre père Thierno Seydou Nourou Tall – que Dieu l’agrée – que l’honorable savant et Shaykh Ahmadou Moukhtar Sakho de Bakka, auprès de qui il étudiait, lui a dit un jour : le Shaykh El Hadji Malick Sy – que Dieu l’agrée – n’a pas d’égal à son époque, parce que c’est Dieu, Lui-même – qu’Il soit exalté -, le Très-Haut, qui s’était chargé de l’instruire, citant ensuite ce verset : ‘ Craignez donc Dieu, et Il vous instruira, car Sa science n’a point de limite’ » (Coran la Vache /282).

Fermons la parenthèse pour revenir à notre sujet.

La première décision prise par le Sage de Tivaouane en faveur de Thierno Seydou, après avoir reçu son serment d’allégeance, fut de lui offrir la main d’une de ses filles en mariage. Il l’installa, par la suite, à Dakar comme son représentant (moukhadam) et son « chargé de mission » auprès des autorités coloniales de l’époque.

Par sa dévotion et son engagement, Seydou Nourou était devenu l’homme de confiance de son maître spirituel, Seydil Hadji Malick Sy (Rta). Ce dernier avait écrit sur le diplôme de capacitation (ijaza), qu’il lui avait délivré, ce qui suit :

« Je te livre une autorisation sans condition, perpétuelle ; mieux ta place, à mes côtés, est celle d’Ali et d’Abou Bakr à côté du Prophète (Psl) et celle de Aaron à côté de Moïse ».
Au soir de sa vie, le sage de Tivaouane avait confié sa famille à Thierno Seydou. Ecoutons, sur ce chapitre, le témoignage de Mawlana Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh (Rta) dans son « Diwan » : « Le Shaykh El Hadji Malick Sy (Rta) appela un jour Thierno Seydou, Cheikhal Khalifa et El Hadji Mansour, avant son départ pour la demeure éternelle. Il prit la main de chacun d’eux, les posa l’une sur l’autre, et leur dit : « Je vous mets en garde contre tout désaccord entre vous, et toute séparation après moi ». Il ordonna ainsi au khalife Ababacar Sy de n’avoir aucun désaccord avec El Hadji Thierno Seydou, de même à El Hadji Mansour de leur obéir et de reconnaitre leurs droits à l’autorité ».

A la suite du rappel à Dieu de son maître spirituel, le prestige de Thierno Seydou ne cessait de croître auprès des populations musulmanes de l’Afrique de l’ouest. Bien qu’il n’eût aucune fonction officielle, Thierno Seydou était traité comme une personnalité publique qu’il convenait d’honorer. Il était de toutes les réceptions. Les différents ministres de la France d’Outre-mer, les gouverneurs généraux de l’Aof et, plus tard, les politiciens sénégalais l’appelaient en consultation. Son influence s’étendait à tous les fidèles de la tijaniya omarienne au Soudan comme au Sénégal. Les marabouts peuls et toucouleurs du Fouta-Toro, la chefferie du Fouta Djallon de la Guinée, du pays djerma nigérien, un grand nombre d’évolués de Dakar et des pays soudanais le reconnaissaient comme « directeur de conscience ».

Fort de cette reconnaissance quasi-officielle, Thierno Seydou assura un rôle de médiateur utile entre les autorités coloniales de l’époque et les populations. En effet, les chefs de canton, discrédités par leur violence et l’arbitraire de leurs actes, jouissaient de peu d’autorité sur les populations. Ces dernières se soumettaient plus volontiers aux figures religieuses qu’elles considéraient comme des guides spirituels, des défenseurs des opprimés. Ce que les commandants de cercle obtenaient par la force, Thierno Seydou l’obtenait par son charisme : qu’il s’agisse de recruter les soldats et la main-d’œuvre ou d’encourager les populations à payer l’impôt, à fréquenter les Centres d’hygiène sociale ou à travailler la terre.

Pour mieux assurer cette fonction médiatrice, Thierno Seydou était appelé à effectuer des tournées répétées annuellement sur les différents territoires de l’Aof. Il profitait de ces voyages pour apporter les nouvelles du monde extérieur et son aide en matière de connaissances aux groupes de musulmans dispersés et généralement dépourvus de guides spirituels qualifiés. Grâce à ses incessants voyages, Thierno rompait l’isolement relatif de certains groupes culturels et ethniques de l’Islam. Son passage, même rapide, raffermissait et consolidait la foi des musulmans isolés.

Par le biais de ces missions officielles, Thierno Seydou désenclavait des régions musulmanes spirituellement pauvres et isolées et leur assurait une reconnaissance éclatante permettant à l’Islam de poursuivre son installation progressive. Mais, Thierno était également un « grand moukhadam » de la tijaniya. Ses périples lui permirent de consolider et d’étendre les positions de la tijaniya d’obédience omarienne. Il rendait, en effet, visite aux tijani et conférait le wird à de nombreux adeptes.

Dans son rôle de médiateur, Thierno reçut pour mission officielle de réconcilier les deux branches rivales de la tijaniya.
En effet, un mouvement de réveil religieux au sein de la tijaniya secouait les communautés musulmanes dans la région de Nioro (Mali actuel). Cheikh Hamallah (Rta), un authentique calife tijani, devint le chef de file de ce courant auquel il donna son nom. Il préconisait un retour à la pratique originaire de la wazifa tijani qui consistait à réciter l’oraison de la « Perle de la perfection » onze fois au lieu de douze (d’où l’appellation de la tijaniya « onze grains ») comme l’usage s’en était peu à peu institué parmi les fidèles de la confrérie, notamment chez les tijani omariens. Cheikh Hamallah avait introduit, dans ses pratiques, la « prière abrégée » (prière à deux « rakas ») en s’appuyant sur le texte du verset du Coran qui fondait cette pratique : « Tant que vous êtes en campagne, il n’y aura nul péché à abréger vos prières si vous craignez que les infidèles ne vous surprennent ; les infidèles sont vos ennemis déclarés ».
Dans le souci de s’acquitter de cette mission de réconciliation, Thierno Seydou assistait, le 25 décembre 1937, à l’entrevue entre le gouverneur du Soudan, Rouvier, et Cheikh Hamallah dans le bureau du commandant de cercle. Entrevue au cours de laquelle Cheikh Hamallah promit de renoncer à la prière abrégée. Et le jour même, à la prière du soir, Chérif Hamallah et ses disciples pratiquèrent les quatre « rakas ».

Sur un autre registre, Thierno fit la connaissance de Mahmoud Bâ en 1938 lors de sa venue à Médine l’illuminée (la ville du Prophète Psl), pour les besoins de la présentation des condoléances de la famille omarienne suite au décès de son oncle Alpha Hashimiyou Tall (Rta). A l’époque, Mahmoud Bâ, qui était étudiant en Arabie saoudite, avait demandé une permission de quinze jours pour l’accompagner dans ses déplacements et lui « servir de bouche, d’oreilles, d’yeux et de mains » (interprète, guide et scribe). A la fin de son séjour, El Hadji Seydou Nourou, touché par la disponibilité de Mahmoud Bâ, lui conseilla de rentrer au bercail une fois ses études terminées, puisqu’on acquiert le savoir pour en faire bénéficier son pays et son peuple.

Hadj Mahmoud Bâ suivit les conseils de Thierno et rentra définitivement dans son pays, deux ans plus tard. Il est le père de la « Révolution Al-Falah » de l’enseignement au Sénégal.
Alpha Hashimiyou, quant à lui, est le fils d’Ahmadou, le grand-frère d’El hadji Omar. Il avait choisi de s’établir au Hédjaz, le pays de la Mecque et de Médine. Respecté pour son savoir religieux, Alpha Hashimiyou était très écouté par le roi Abdoul Aziz Al Saoud, fondateur du royaume d’Arabie saoudite. Il fut membre du Conseil consultatif des oulémas chargés de donner leurs avis sur des questions religieuses : il y a lieu de noter, au demeurant, que si la noble tombe du Prophète (Psl) n’a pas été transférée hors de la sainte Mosquée, son avis y a été d’un grand apport. Enfin, il est l’auteur-compositeur du célèbre poème « Daroul Habibi khouloubouna takhwahaa… » qu’aimait fredonner Mawlana Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh (Rta).

El Hadji Seydou Nourou Tall (Rta) disparut le vendredi 25 janvier 1980. Il fut enterré dans l’ancienne maison des jeunes située sur la corniche à l’angle avec l’avenue El Hadji Malick Sy (n’est-ce pas là un signe du destin ?) Son mausolée jouxte la mosquée omarienne.

Ancien compagnon de Seydil Hadji Malick Sy (Rta) en qui il voua une fidélité sans faille, Thierno Seydou Nourou Tall (Rta) confiait à Serigne Abdou, la veille de son décès, que si Allah (Swt), dans Sa magnanimité, lui demandait de choisir, dans l’au-delà, de rejoindre le camp de son illustre grand-père, El Hadji Omar Tall (Rta) ou de rester dans celui de son maître spirituel, Maodo Malick Sy (Rta), c’est le camp de ce dernier qu’il choisirait !

Il faut signaler que Thierno Seydou Nourou Tall, du vivant de son maître, ne s’était jamais réclamé de l’héritage de son illustre aïeul. Il avait préféré venir se ranger sous la « bannière » de son guide spirituel, confirmant ainsi, si besoin en était, que Maodo Malick Sy était bien le dépositaire de l’héritage d’El Hadji Omar au Sénégal.

Il fut un témoin privilégié et un acteur remarquable de l’histoire du Sénégal et de l’Afrique occidentale, pour avoir vécu les époques charnières de la colonisation et des post-indépendances.

Il fut le « mentor » de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh.

Enfin, contrairement à la croyance populaire, Thierno Seydou a bien laissé un héritier en la personne de son petit-fils Madani Tall (que Dieu lui accorde une longue vie et une bonne santé), le fils de son fils Abdoul Aziz Tall, l’homonyme de Serigne Abdou, très tôt arraché à notre affection, en 1979, c’est-à-dire un an avant son père.

Par Cheikh Tidiane CAMARA
Colonel des Douanes…
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