Dr Mama Moussa Diaw, Médecin Chef de Matam : « Les décès que nous avons sont souvent liés à des problèmes de sang »

Spécialiste en santé publique et par ailleurs médecin Chef régional de Matam depuis février 2019, Dr Mama Moussa Diaw fait une analyse situationnelle de la santé dans sa région. Moins de six mois après sa prise de service, il déplore l’absence d’une banque de sang qui serait à l’origine de plusieurs cas décès dans cette partie nord du pays.

   Entretien 


Quelle est l’analyse situationnelle dans votre zone de responsabilité ?

Il y a des indicateurs macro et d’autres qui nécessitent des impacts sur une plus longue durée. En venant à Matam, nous avons trouvé une situation urgente qui était là et c’est surtout les services de référence qui sont très précis dont on a besoin. C’était le problème de la Pédiatrie par exemple. A tous les niveaux, les infirmiers et les médecins sont formés,mais pour gérer la situation des urgences en pédiatrie, c’était un véritable problème. On ne disposait pas d’un spécialiste dans les hôpitaux. Mais de puis quelques semaines, il s’agit là d’un des points majeurs de la situation qu’on a pu gérer avec l’apport des directeurs. L’autre situation,c’est le niveau des indicateurs, car en 2018, il y avait un mouvement d’humeur qui avait fait que le système de santé était complètement aveuglé et on n’avait pas d’informations sur ce qui se passait ; ce qui fait qu’à Matam, malheureusement, il faut le déplorer, les indicateurs de la morbidité et la mortalité concernant le palu sont extrêmement élevés. Matam s’est retrouvé avec plus de onze mille cas de paludisme dont vingt décès. Sur ces cas, les 94% concernaient Kanel et Ranérou. Mais pour cette année, les services sont en train de dérouler une campagne de distribution de moustiquaires. Et, pour réduire les taux de mortalité et de morbidité palu, nous sommes en train de dérouler l’aspersion intradomiciliaire. Nous avons également mis en place un programme qu’on appelle le « tutorat 3.0 » pour renforcer les capacités des prestataires.Dans la lutte contre la mortalité maternelle et néonatale, Matam affiche un taux record par rapport au reste du pays, même si nous avons senti une baisse qui, peut être, n’est pas significative. Ici, l’importance pour nous c’est que nous avons des gynécologues dans les deux hôpitaux de Matam pour gérer les urgences gynécologiques et obstétricales. Les deux établissements, celui de Matam et Ourossogui, se sont organisés de telle sorte qu’il n’y a jamais un service complètement fermé si un médecin voyage. Il faut aussi savoir que Matam, malgré la faiblesse du plateau médical technique, Bakel et d’autres localités évacuent sur nos hôpitaux.La chose qui n’évolue pas tellement, c’est la malnutrition des enfants de 0 à 5 ans. Mais nous avons bon espoir, car tout dernièrement, nous avons travaillé avec des partenaires qui sont dans la zone comme Action contre la Faim (ACF) et la Cellule de lutte contre la Malnutrition (CLM). Nous entendons également changer de stratégies parce que depuis longtemps,nous sommes en train d’intervenir, mais il n’y a pas d’impact réel sur la baisse de la malnutrition aiguë et sévère.

Insécurité alimentaire, malnutrition et famine : Que faut-il retenir ?

Employer le terme famine serait grave et abusé. Il ne faut pas l’utiliser,car dans ce contexte, nous ne sommes pas dans une situation de famine.Mais, il faut reconnaître que les périodes de soudure ont toujours existé.C’est la période creuse, lorsque les récoltes sont terminées et que l’on doit commencer de nouvelles cultures. C’est une période très difficile. C’est même prévu avec le commissariat alimentaire pour appuyer les populations. Les gens ont tendance à faire des rapprochements entre la malnutrition et la pauvreté, mais il s’agit souvent de problèmes de comportements, car ce sont les méthodes culinaires, les interdits alimentaires qui entraînent la malnutrition chez les enfants. C’est pourquoi certains programmes ont du mal à réussir leur mission parce que les populations n’adhèrent pas à ce qu’on leur propose. Dès fois, les gens exagèrent pour parler de famine, mais la malnutrition, on ne peut pas nier qu’elle existe. Il y a des données et des indicateurs. La réussite de l’éradication de ce phénomène passe par une implication des populations.Dr Mama Moussa Diaw Médecin Chef de Matam (2)

 

Il y a aussi, dans cette région, des centres de santé qui fonctionnent à moitié …

C’est une excellente idée de l’autorité qui a pensé mettre une structure de santé à Ranérou. Dans ce centre de santé de référence, à l’instar de celui de Kanel, on a mis un bloc sous où il y a des médecins qui sont formés et qui sont compétents dans ce sens. Le Médecin chef de Ranérou est un généraliste, mais il n’a pas d’anesthésiste. Par conséquent, le bloc opératoire ne fonctionne pas. C’est le même cas à Kanel où il n’y a pas actuellement d’anesthésiste. C’est un problème de ressources humaines. En 2010, le ministère de la Santé avait fait un excellent travail avec le partenaire Jica en motivant les médecins à travailler en zone difficile. Les gens peuvent être de vrais patriotes, mais devant certaines situations, il faudrait qu’on fasse la différence.

Comment avez-vous accueilli l’appel du Chef de l’Etat dans ce sens ?

Lors du Conseil des Ministres en date du 10 juillet 2019, j’ai senti comme si le Président était là et s’adressait à moi parce qu’il a évoqué nos préoccupations qu’on a toujours défendues. L’avantage de la santé publique c’est que vous êtes dans la population mais vous êtes aussi de la population. C’est donc très important qu’au moment où l’on parle de problèmes dans les urgences et même des assises sur les urgences que le Président montre l’exemple en montant au créneau pour prendre des mesures.

    Lire notre dossier : Matam a une santé fragile

Il s’y ajoute que, malgré tous les efforts consentis par ci et par là pour réduire les mortalités maternelles, les décès que nous avons sont souvent liés à des problèmes de sang. Dans la région de Matam, il n’y a pas de banque de sang, ni un dépôt. Pourtant, le matériel existe. Il est dispersé entre les deux hôpitaux de la région. Le personnel n’est pas encore complémentaire et c’est ce qui pose problème pour pouvoir faire fonctionner le bloc. L’une de nos priorités, c’est de faire fonctionner la banque de sang à Matam, de diminuer les évacuations sur Dakar et les risques de pertes en vies humaines.

Quelles sont les spécialités qui manquent dans votre région ?

Pour la Pédiatrie, c’est déjà réglée, mais de façon transitoire, car on nous a envoyé des stagiaires de quatrième année qui sont remplacés chaque six mois par un autre. Cela nous permet de gérer beaucoup de choses,mais ce n’est pas une situation pérenne. Il y a récemment une note du ministère de la Santé qui demande qu’il y ait des séniorats dans les urgences ; ce qui peut poser problème même si on doit faire avec sachant que la Pédiatrie et surtout la néonatalogie sont hyper importants dans la région de Matam. Il faudrait également que les blocs sous, notamment celui de Kanel et Ranérou, fonctionnent. A Matam, il n’y a pas de Psychiatre dans toute la région alors qu’il s’agit d’une priorité puisque nous sommes dans le cadre de l’équité. Il est impératif que ces patients avec handicap ou déficients mentaux puissent être gérés par un Psychiatre. Même les agents de santé, les enseignants et autres fonctionnaires qui travaillent en zone difficile ont besoin d’être suivis pour ne pas faire des dépressions. Nous avons également besoin de neurochirurgien, car nous avons de longues routes parfois en état de délabrement avancé et qui entraînent des accidents, des traumatismes.Alors, il est bon que nous ayons des spécialistes pour pouvoir juguler ces problèmes.

La dette de la CMU ne vous inquiète-t-elle pas ?

Si cette question ne m’inquiète pas, cela devrait vous inquiéter que ça nem’inquiète pas (Rires…) ! Sur cette question il faut saluer et féliciter les directeurs des structures qui ont toujours à l’esprit qu’il s’agit d’une politique nationale qu’ils ont l’obligation de mener avec un tiers payant qui est l’Etat. A travers la CMU (Couverture Maladie Universelle), l’agence doit pouvoir éponger ses dettes. Malheureusement, on a constaté qu’il y a toujours un jeu de mots. Les gens disent qu’il ne s’agit pas de dettes, mais plutôt des retards de paiement. Ce qui est important,c’est que les services fonctionnent avec cet argent. Si c’était pour 2019,ce serait un peu compréhensif, mais les dettes traînent depuis 2017/2018.Pour ce qui concerne Matam, les structures font passer, chaque mois, leur demande de paiement. Dernièrement, nous avons noté des avancées dans le travail de traitement des dossiers. Cette dette, si elle n’est pas remboursée, cela peut hypothéquer le travail et même démotiver les agents par rapport à ce qu’ils sont en train de faire sur le terrain.

Que dites-vous des prestataires qui sont pris en charge par les populations ?

Le système de santé sénégalais n’existe pas dans plusieurs pays. C’est au Sénégal qu’il existe des infirmiers à qui on a délégués certains services au niveau des postes de santé, mais qui sont quand même bien encadrés.Pour la situation des cases de santé, il faut dire que les Sénégalais ont été très productifs en pensant comment déléguer certaines activités à l’infirmier pour gérer un certain niveau de soins, avec une bonne orientation pour que si cela le dépasse, il réfère au niveau supérieur. Ce qu’il faut regretter dans cette politique, c’est que les gens font du bénévolat un peu compensé. S’ils trouvent ailleurs d’autres offres, ils s’en vont.

Certains patients se plaignent de la cherté des ordonnances…

Notre culture nous pose problème, car la base de notre système de santé ce sont les soins de santé primaires avec la participation communautaire.Les médicaments qui sont vendus chez nous sont génériques et coûtent moins chers. L’Etat a déjà donné sa part de contribution. C’est la partie qui revient à la population qui est chère, mais c’est l’épisode maladie qui coûte chère, car, avec notre culture, le système de santé est fait de telle sorte que les gens ne sont pas préparés à des épisodes de maladie. Les mutuelles de santé ont été créées dans ce sens, pour que les gens n’attendent pas d’être malades et tout payer. L’autre chose, ce sont nos exigences de qualité qui ne sont pas négociables. Le coût d’une prestation, il faut toujours le comparer au coût de la vie, car la vie humaine n’a pas de prix.

Quel appel lancez-vous aux élus locaux ?

La santé étant une compétence transférée, ce que nous demandons aux collectivités territoriales, c’est leur implication en apportant une touche supplémentaire. Au-delà des fonds de dotation qu’ils doivent juste transférer à qui de droit, les élus locaux doivent apporter une contribution propre et consacrer entre au moins 10% de leur budget à la santé. Les Conseils départementaux doivent apporter la différence en recrutant des spécialistes pour combler le manque. Dans ce cadre, les élus peuvent mettre en place un poste budgétaire à la région médicale pour que, même si un spécialiste part, qu’il puisse y avoir possibilité d’amener quelqu’un d’autre. Ce sont ces aspects positifs que nous attendons des élus, aux recrutements politiques comme le fait de prendre cinq vigiles dans l’espoir de gagner cinq voix à l’avance.


 

 

        Propos recueillis  par Djiby DEM

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