Contribution : Les enseignements de la plainte du SUDES Contre le gouvernement du Sénégal en 1995

A l’époque, chargé  de la coordination des revendications et plus tard secrétaire général  du sudes et  en même temps l’un des principaux négociateurs de l’intersyndicale de l’enseignement face aux différents  Gouvernements de 1995 à 2003, je pense qu’il serait utile de faire un petit rappel dans ce  contexte de menace d’une autre plainte des syndicats contre l’Etat du Sénégal.

    C’est, en effet, au lendemain de l’accord entre l’intersyndicale SUDES\FEDER\SYPROS  et le Gouvernement du  3 juin 1995 que le Ministre Délégué Chargé de l’Education de Base et des Langues Nationales a publié l’arrêté 00005558MEN\MDCEBLN du 15 juin 1995 créant le Projet des Volontaires de l’Education (PVE) et fixant les conditions de sélection (BFEM), de formation (3 mois) et de prise en charge des volontaires (50 000F\mois plus  Mutuelle). Le droit syndical y  est interdit.Kalidou DIALLO Ancien Ministre de l'Education Nationale

       Par une déclaration datée du 16 juin 1995, le BEN du SUDES condamna le projet et exigea du Gouvernement le respect de la législation du travail et des conventions internationales ratifiées par le Sénégal notamment les fondamentales  87 et la 98 sur la liberté syndicale et le droit à la négociation collective. Le 28 août 1995, conformément à l’article 24 de la Constitution de l’OIT, le SUDES porta plainte contre le Gouvernement du Sénégal pour violation d’autres  conventions, la 111 (discrimination en matière d’emploi et de profession) et la 105 (abolition du travail forcé). Cette réclamation fut accompagnée d’un argumentaire de 13 pages.

Le comité conjoint OIT\UNESCO d’experts sur l’application des recommandations concernant le personnel enseignant (CEART)  examina ce dossier  référencé BIT\ILO  IC 12-0-2-10008-7-101  lors de sa Quatrième session spéciale (réf. CEART\SP\1997\13) et   jugea la plainte recevable.

    Après s’être félicité de l’objectif de scolarisation universelle du Gouvernement du Sénégal, le Comité conjoint déplore  que  cette forme  de recrutement d’enseignants soit contraire au principe de base de la section V (CINQ) de la recommandation BIT\UNESCO de 1966 concernant les conditions du personnel enseignant. En conséquence, il a été demandé à l’Etat du Sénégal le respect de la liberté syndicale  et l’implication du SUDES et des syndicats de l’enseignement à la définition de sa politique éducative conformément à la recommandation BIT/UNESCO. Il a été rappelé au gouvernement que la disposition 141 de la recommandation donne la possibilité de prendre des mesures exceptionnelles et non permanentes comme c’est le cas dans le projet des Volontaires de l’Education. Après ces premières observations, le CEART a  demandé au SUDES et au Gouvernement de lui tenir informé de l’évolution de la situation..

      C’est cette pression internationale menée parallèlement avec la mobilisation du Collectif des Volontaires de l’Education et  celle de l’Intersyndicale  de l’Enseignement à travers les préavis de 1996 et de 1997 où la question du recrutement figure en bonne place, qu’il faut situer la  convocation par le Gouvernement de la  « Concertation Nationale sur les stratégies de mise en place d’un statut pérenne pour les volontaires de l’Education » à l’ ENSA de Thiès du 04 au 06 février 1998 avec la participations de tous les acteurs et partenaires de l’Ecole.

     J’ai  participé en que  membre du comité préparatoire  de pilotage au nom du SUDES à ces importantes assises dont les conclusions figurent dans le compte rendu ci-dessous fait  au BIT par  ministre de l’Education nationale. Le Conseil d’administration du BIT ayant examiné le dossier en mars 1998, la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail à sa 85èmè session de juin 1998 et le Conseil exécutif de l’UNESCO  au mois de mai de la même année, le Gouvernement du Sénégal et le SUDES  ont été de nouveau interpelés  par des correspondances   d’août 1998 et  de juin 2000.

 Le  Ministre de l’Education nationale a fourni  les réponses   ainsi résumées dans sa  lettre du 14 août 2000 :

-suite aux négociations avec les syndicats enseignants y compris le SUDES, une concertation  financée par la Banque mondiale  sur les perspectives de carrière des volontaires recrutés au titre d’enseignant, dans le but d’identifier une stratégie visant à  leur garantir un statut durable,  a été organisée en février 1998. Les  conclusions ont  donné  un nouveau profil de carrière aux VE qui deviennent ainsi agents de l’Etat avec un statut de contractuel au terme des quatre années de service volontaire avec la possibilité d’être intégré dans la Fonction publique après obtention des diplômes professionnels requis (CEAP CAP). Le ministre de l’éducation  ajouta que le premier groupe des 1200 VE de la promotion de 1995 est embauché par décret 99-908 du 13 septembre  1999.

Le gouvernement a informé également des mesures qu’il a prises pour se conformer à la recommandation, entre autres, le droit syndical des maîtres contractuels, la démocratisation de leur mutuelle et sa décentralisation dans 31 inspections départementales, la définition  d’un  nouveau  programme de formation des VE dans les Ecoles de Formation des Instituteurs (EFI). Il indiqua dans la même correspondance que les maîtres contractuels vont créer leur propre syndicat en août 2000, illustrant ainsi son respect des conventions fondamentales  87 et 98 de l’OIT sur la liberté syndicale et le droit aux négociations collectives.

Le SUDES a continué quant à lui,  dans sa réponse au BIT du 28 juin 2000,   à acculer le gouvernement en dénonçant le  Programme Décennal de l’Education et de la Formation (PDEF) adopté en 1998 sans consensus à l’époque avec les syndicats de l’enseignement et qui allait faire du volontariat un passage obligé pour l’entrée dans le corps enseignant, le maintien de la durée du  volontariat à  quatre ans et l’insuffisance de qualification des maîtres contractuels malgré leur nouveau statut.

   Le rapport annuel du CEART de 2000 s’était réjoui de l’évolution positive de la situation des VE au Sénégal et a félicité le gouvernement pour  son ouverture au dialogue, l’amélioration  de la situation des VE par rapport à leur formation initiale, leur  plan de carrière et leur droit à se syndiquer. Le comité conjoint a encouragé le gouvernement  à mettre l’accent sur une formation initiale équivalente à celle des enseignants de carrières conformément aux normes et aux recommandations contenues dans  le Cadre d’Action de Dakar 2000. Le Comité conjoint conclut son rapport en ces termes : « l’information donnée par le SUDES que tous les candidats à l’enseignement passent par le programme volontaire est particulièrement préoccupante mais elle reste à confirmer plus en détail eu égard à la formation et au recrutement des enseignants. Le comité conjoint continue toutefois d’attirer l’attention du Gouvernement sur la disposition 141 de la recommandation, qui insiste sur le fait que toute mesure prise pour parer au déficit d’enseignants doit être considéré comme exceptionnelle et ne doit pas porter atteinte aux normes professionnelles établies ». Le CEART a demandé, de nouveau   au SUDES et au Gouvernement de lui tenir informé des évolutions  avant la session de septembre 2003.  L’Etat du Sénégal a accéléré l’exécution des recommandations. Et lors des négociations de novembre 2001 sur les Cahiers de Doléances des centrales syndicales, la CSA a accepté d’intégrer  le premier  syndicat des nouveaux corps de l’enseignement, le SELS, dans sa délégation. Ce qui a permis à cette organisation de participer pleinement aux négociations et de poser ses revendications spécifiques. A l’issue des discussions, le protocole d’accord prévoit la réduction de la durée du volontariat  à 3 ans en octobre 2002  puis à 2 ans à partir d’octobre 2003 ainsi que  l’augmentation de  la bourse des volontaires qui passe de 50 à 60 000F/mois. Le préavis de grève déposée  par  l’intersyndicale de l’enseignement en  décembre 2002 et le protocole  d’accord qui s en est suivi au mois de mai de 2003 ont vu la création d’une prime mensuelle de 10 000 pour les maîtres contractuels.

  Les assises sur le Recrutement et la formation Initiale des Volontaires organisées par le Gouvernement les 28 et 29 novembre 2003 à la FASTEF ex-ENS de Dakar  ont intégré dans le nouveau texte régissant le VE certains de ces acquis et abrogé l’arrêté 00005558 \MEN\ MDCEBLN du 15 juin 1995. La formation initiale des VE domiciliée désormais dans les EFI est d’une durée de six mois au moins (article 13). La liste des acquis est loin d’être exhaustive surtout si on y ajoute ceux obtenus dans le cadre des luttes spécifiques des organisations des volontaires de l’éducation et des maitres contractuels.

 Toutes  ces évolutions positives obtenues, certes après des luttes syndicales, peuvent être intégrées dans les mesures prises par le gouvernement pour appliquer les recommandations du comité conjoint OIT\UNESCO suite à la réclamation  du SUDES.

Une plainte  auprès de l’OIT peut être  efficace à condition qu’elle soit recevable  et  cible bien les conventions violées s’il y a lieu par l’Etat.


Kalidou DIALLO Ancien Ministre de l’Education Nationale, Professeur d’Histoire Moderne et Contemporaine (UCAD, FLSH, Département d’Histoire) Président de l’Association d’Appui au Développement et à la Qualité de l’Education pour Tous en Afrique (ADEQET/ Afrique

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