Contrats pétroliers et gaziers : Enfin la lumière sur les droits de l’État du Sénégal

Eu égard à l’ampleur du débat public et des enjeux nationaux et internationaux afférents auxdits contrats: il y a lieu d’éclairer juridiquement l’État du Sénégal et l’opinion publique sur ses droits suivant sept points :

– La question de la renégociation des contrats pétroliers et gaziers (1) ;

– Le comportement à observer lors d’une demande éventuelle de renégociation des contrats pétroliers et gaziers (2) ;

– La résolution de la question supposée de l’« avantage excessif » relatif aux contrats pétroliers et gaziers (3) ;

– La question de la modification unilatérale des contrats pétroliers et gaziers par l’État du Sénégal (4) ;

– La résiliation des contrats pétroliers et gaziers (5) ;

– Le règlement des litiges (différends) contractuels en matière pétrolière et gazière (6) ;

– Le cas spécifique de M. Aliou Sall (7).Alioune GUEYE Professeur de Droit public

  1. Sur la question de la renégociation des contrats pétroliers et gaziers :

En droit, le principe de la liberté de négocier un contrat demeure. Par conséquent, la question même de la renégociation des contrats pétroliers et gaziers ne poserait aucune difficulté d’ordre juridique, si l’État du Sénégal souhaiterait emprunter cette voie de droit. Dans cette hypothèse, la seule obligation qui pèserait à la fois sur l’État du Sénégal et sur son cocontractant, est l’obligation de loyauté et de bonne foi dans les renégociations contractuelles.

En droit, il est toujours possible d’adapter un contrat (que ce soit un contrat d’État, un contrat de commerce international, un contrat administratif, entre autres), de le modifier ou de le réviser, dès lors que la réalisation devient très onéreuse du fait d’un changement de circonstances, ou si le contrat est excessivement déséquilibré de telle sorte que cela altère fondamentalement l’équilibre des prestations.

Dans toutes ces hypothèses, la partie qui se prétend lésée a le droit de demander l’ouverture de nouvelles négociations. Étant entendu que, la demande de nouvelles négociations doit être faite sans délai et doit être motivée.

S’il n’y a pas de réponse dans un délai raisonnable : la partie qui s’estime lésée a la possibilité de saisir le juge. Ce dernier a le pouvoir de réviser le contrat pour rétablir l’équilibre des prestations. Le juge peut aussi mettre fin au contrat. Le juge peut enfin octroyer des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par la partie lésée.

Au demeurant, contrairement à ce que soutiennent donc certains auteurs, juridiquement on n’a pas besoin ici qu’il y ait une clause spécifique dans les contrats pétroliers et gaziers pour ouvrir de nouvelles négociations contractuelles.

  1. Sur le comportement à observer au cours d’une demande éventuelle de renégociation des contrats pétroliers et gaziers :

Dans cette hypothèse, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’en droit sénégalais : le contrat est « un accord de volontés générateur d’obligations ». Par conséquent, la règle juridique importante à respecter ici est qu’au cours de la demande de renégociation du contrat, la partie qui s’estime lésée ne doit pas mettre fin immédiatement audit contrat, ni en suspendre l’exécution de son obligation contractuelle.

La renégociation doit donc se faire dans le respect de l’obligation de loyauté et de bonne foi. Et en cas de difficultés afférentes à ces renégociations contractuelles : c’est le juge qui doit trancher en rétablissant l’équilibre des prestations.

  1. Sur la question supposée de l’avantage excessif des contrats pétroliers et gaziers :

Dans l’hypothèse où l’État du Sénégal estimerait qu’il y a eu un « avantage excessif » dans les contrats pétroliers et gaziers au profit de ses cocontractantes (les entreprises étrangères). Il doit démontrer qu’au moment de la conclusion des contrats pétroliers et gaziers, son cocontractant se serait vue accorder un avantage excessif, en profitant par exemple de la dépendance ou de l’inexpérience de l’État du Sénégal en matière pétrolière et gazière.

Si l’État du Sénégal en apporte la preuve : il pourra obtenir la réparation de ce préjudice par le biais de dommages et intérêts, et même un rééquilibrage des prestations contractuelles.

  1. Sur la question de la modification unilatérale des contrats pétroliers et gaziers par l’État du Sénégal :

L’Etat du Sénégal doit être parfaitement conscient de ses droits. C’est-à-dire que juridiquement, l’État du Sénégal dispose de plein droit d’un pouvoir de modification unilatérale des contrats pétroliers et gaziers déjà conclus. À cet égard, la jurisprudence française plus proche de la tradition juridique sénégalaise en fournit une illustration parfaite, Voir par exemple, arrêt CE., 17 mars 1864, Paul Dupont.

En droit, l’Etat du Sénégal dispose aussi d’un pouvoir de sanction de son cocontractant en cas de défaillances contractuelles, Voir, arrêt CE., 31 mai 1907, Deplanque c/Ville de Nouzon.

Tout cela contribue à donner un « effet relatif aux Conventions » signées par l’Etat ou par l’administration. D’ailleurs, l’arrêt du Conseil d’État sénégalais du 8 août 2007, SONATEL c/ ARTP et Etat du Sénégal, faisait même référence à ce « principe d’effet relatif des Conventions ».

Dans l’hypothèse où L’Etat du Sénégal déciderait de modifier unilatéralement les contrats pétroliers et gaziers, il doit simplement vérifier s’il y a lieu d’appliquer ou non l’équation financière à son cocontractant.

  1. Sur la question de la résiliation des contrats pétroliers et gaziers :

Que cela soit précisée ou non sur les contrats pétroliers et gaziers, l’État du Sénégal a le droit de résilier ces contrats pour un motif d’intérêt général, Voir par exemple, arrêt CE., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval.

D’ailleurs, toute clause contractuelle qui priverait l’État du Sénégal de ce droit de résilier un contrat serait nulle et inopposable, Voir par exemple, arrêt CE., 6 mai 1985, Association Eurolat c/Crédit foncier de France.

L’État du Sénégal a même la possibilité d’évincer les entreprises cocontractantes, etc. De telle sorte que, lorsqu’un Etat conclut un contrat, il « ne se dépouille pas de ses attributs de puissance publique », Voir par exemple, Conclusions Jacomet sous l’arrêt CE., 1954, Soulier.

L’État du Sénégal dispose donc de prérogatives exorbitantes dont il peut faire application sur les contrats pétroliers et gaziers remis en cause (dans le but de préserver l’intérêt supérieur du peuple sénégalais dans le cas où il serait mis en péril).

  1. Sur le règlement éventuel des litiges inhérents aux contrats pétroliers et gaziers :

Afin d’éviter des incertitudes sur la loi applicable et le juge compétent pour trancher les litiges relatifs aux contrats pétroliers et gaziers, il faut préciser dans ce type de contrats des clauses attributives de juridiction ou de choix de loi applicable.

En principe, le lieu d’exécution du contrat est aussi un critère pour déterminer la loi applicable au contrat…

Toutefois, en général les litiges relatifs à ces contrats pétroliers et gaziers sont confiés soit, à des organes arbitraux (arbitrage), soit à des médiateurs (médiation). La transaction et la conciliation, entre autres, constituent aussi autant d’outils juridiques utilisés pour régler ce genre de conflits inhérents aux contrats internationaux…

  1. Sur la question spécifique de M. Aliou Sall :

Là, il faut examiner deux hypothèses :

– Hypothèse 1 : Si les faits qui sont reprochés à M. Aliou Sall à propos des contrats pétroliers et gaziers sont avérés : il s’exposera à des sanctions administratives et pénales (notamment, sous l’angle du délit de corruption, délit de favoritisme, etc.).

Dans ce cas, le droit pénal sanctionne sévèrement un tel agent public : qu’il soit dépositaire de l’autorité publique ou chargé d’une mission de service public, ou encore, investi d’un mandat électif.

De la même manière, les entreprises pétrolières et gazières cocontractantes et présumées bénéficiaires d’un « avantage injustifié », dans le cadre d’un présumé délit de favoritisme dans l’attribution desdits contrats, peuvent être poursuivies pénalement pour recel.

L’« avantage injustifié » peut résider dans l’obtention d’un Marché public, or, l’application normale de la législation ou de la réglementation n’aurait pas permis au bénéficiaire de l’obtenir.

Le délit de recel serait constitué dès lors que les entreprises cocontractantes auraient bénéficié en connaissance de cause, de l’attribution d’un Marché public irrégulièrement passé.

Le délit de recel est également caractérisé à l’égard de celui qui bénéficie en connaissance de cause du produit provenant de l’attribution irrégulière d’un Marché public…

– Hypothèse 2 : Si les faits qui sont reprochés à M. Aliou Sall ne sont pas avérés : là, ce serait très grave et la situation inverse se produirait. C’est-à-dire que, les accusateurs s’exposeront à des sanctions pénales et leur responsabilité sera engagée dans le sens de la réparation des préjudices subis par l’éventuelle victime.

En conclusion, rien n’est encore perdu à propos des contrats pétroliers et gaziers.

L’État du Sénégal dispose encore de tous les outils juridiques nécessaires pour protéger et sauvegarder l’intérêt des citoyens sénégalais. Certes, il faut rester vigilant, mais, il ne faut pas être pessimiste ; en ce sens qu’en droit, la question du pétrole et du gaz n’a pas encore atteint un niveau irréversible sur le plan juridique. Donc, il est encore possible de tout refaire dans l’intérêt supérieur du peuple sénégalais et des générations futures…


Alioune GUEYE,

Professeur de Droit public,

Expert auprès du F.R.S. – FNRS (Belgique),

Membre du Comité scientifique à la Revue juridique et politique des États francophones (France),

Membre (évaluateur) au Comité scientifique de la Revue québécoise de Droit international (Canada),

Ancien Professeur/Chargé de cours en Droit public à l’Université de Montréal (Canada),

Ancien A.T.E.R en Droit public en France, Rang 1er…

Contact : aliounegueye2000@gmail.com

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