Casamance : Macky Sall et les problèmes émergents du maquis

L’option de la solution économique pour effacer la revendication politique irrédentiste semble la bonne. Mais, avec les forces mouvantes à l’intérieur de la rébellion, interdit de demeurer statique.

L e délai de cent jours que s’était fixé le président Abdoulaye Wade était la marque d’une profonde volonté politique de pacifier la zone Sud. Mais les réalités du terrain l’ayant vite rattrapé, la diplomatie des mallettes de l’ex-chef de l’Etat a créé beaucoup de faux-monnayeurs connus sous le sobriquet de ‘‘Messieurs Casamance’’. Une ‘‘générosité’’ qui a plus profité aux chefs du maquis ayant troqué la paix contre ces libéralités.

Car, en réalité, ‘‘cette stratégie n’a servi qu’à exacerber les frustrations des populations et à radicaliser plusieurs factions du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) lésées dans le partage du ‘‘gâteau’’, de l’avis de nombreux observateurs. Le paradigme nouveau dans ce conflit armé, dont la trajectoire n’a cessé de fluctuer, est qu’en plus de l’hydre à trois têtes qu’est devenu le Mfdc, les chefs de la sécession sud, sevrés des rentrées d’argent, semblent ne plus contrôler efficacement leurs éléments.

Ainsi, Salif Sadio est challengé dans sa zone Nord par Lamarana Sambou, tandis que César Atoute Badiatte et Ibrahima ‘‘Compass’’ se partagent la zone Sud, près de la frontière bissau-guinéenne, sans compter certains lieutenants comme Paul Aloukatène qui sont sortis des flancs du front.

Une donne qui s’expliquerait par une alternance générationnelle en cours dans le mouvement irrédentiste. Ce qui nourrit les appréhensions de ce gradé de l’armée sur la véritable représentativité et l’autorité de plus en plus chahutée des chefs rebelles. ‘‘La guerre ayant duré trois décennies sans déboucher sur quelque chose de concret pour ces milliers de combattants engagés, il y a comme une rébellion dans la rébellion.

La base échappe, de plus en plus, au contrôle des leaders pour des actions isolées à leur compte’’, déclare-t-il sous le couvert de l’anonymat. Un paramètre à prendre en compte dans la définition des interlocuteurs avec qui négocier. Le journaliste et chroniqueur de “Dakaractu’’, Babacar Justin Ndiaye, dans sa tribune hebdomadaire, semble être dans les mêmes dispositions d’analyse. La vieille garde des leaders sudistes ne semble plus avoir une mainmise totale sur les troupes.

Aussi, il estime que, ‘‘moralement, Salif Sadio n’est pas loin de l’effondrement. Il se lamente sur son sort d’adulte proche de la vieillesse, sans vie familiale’’, tandis qu’à l’extrême Sud, ‘‘César Atoute est physiquement diminué. Déjà borgne, il est, aujourd’hui, quasiment atteint de cécité, avec le second œil qui s’éteint progressivement. Commande-t-il toujours le maquis ou est-il en douceur remplacé par un sous-chef peu connu ?’’, s’interroge le chroniqueur. Cet émiettement ne concerne pas que la branche armée ‘‘Atika’’ du Mfdc.

La branche politique est aussi sujette à une telle atomisation entre Nkrumah Sané, en exil à Paris depuis plus de 30 ans, et Abdou Elinkine Diatta, porte-parole du mouvement sous la direction de Diamacoune Senghor, qui revendiquent tous les deux le secrétariat général du mouvement. Professeur d’université en Allemagne, Ahmed Apakena Diémé incarne la jeune génération et dirige le Cercle des universitaires et intellectuels du mouvement, tout en n’excluant pas la lutte armée.

Quant à Jean-Marie François Biagui, à la tête du Secrétariat général du Mfdc depuis 2001, il a créé un parti politique, avec un acronyme similaire (Mfdc) signifiant Mouvement pour le fédéralisme et la démocratie constitutionnelle.

Mais pour Babacar Justin Ndiaye, ces dissidences ne changent rien, fondamentalement, à la contestation dans le Sud. ‘‘Le Mfdc mène, depuis 1982, un combat ouvertement et courageusement assumé partout : sur le terrain des hostilités militaires, dans les médias et sur au moins trois continents. Par conséquent, toutes les bandes armées ont essaimé de ses flancs et de ses idées’’, déclare-t-il dans un commentaire publié hier sur le site “dakaractu.com’’. L’économie contre la politique Signe encourageant pour les autorités sénégalaises toutefois, d’anciens dirigeants légitimes, dont les fondateurs du maquis Kamoughé Diatta, Adjino Moto, ex-lieutenant de Sidy Badji, prônent le retour de la paix. Une pacification qui va se construire sur des bases économiques. L’horizon s’éclaircit peu à peu (départ de Jammeh, rapprochement Dakar – Bissau).

Mais la performance économique pour effacer les revendications politiques tarde à se concrétiser. Pour le maire de Ziguinchor, il faut ‘‘impliquer les services administratifs, les plus hautes autorités pour que, dans ces localités, soient créées des zones économiques.

Depuis les indépendances, les zones frontalières ont été celles des conflits. Il faut qu’elles deviennent des zones économiques intégrées’’, déclare Abdoulaye Baldé. Malgré le fait que ‘‘le déficit de savoir-faire engendre un excédent de pollutions tous azimuts’’, dixit Babacar J. Ndiaye, le gouvernement de la deuxième alternance montre de bonnes dispositions pour le règlement définitif du conflit.

Fin juin 2012, le gouvernement de Macky Sall a tenu le Conseil des ministres décentralisé à Ziguinchor avec des promesses de 360 milliards de francs Cfa pour 54 projets qui devaient être inscrits dans le Programme triennal d’investissement public (Ptip) 2013-2015.

Un an plus tard, toujours en réunion du Conseil des ministres, le communiqué qui sanctionnait la résolution présidentielle faisait état d’un ‘‘nouveau mode opératoire pour l’accélération du développement de la Casamance, en passant du concept de Désarmement, démobilisation, réintégration (Ddr) à une stratégie durable, bâtie sur 3 piliers : la Réconciliation, la reconstruction et le développement durable (Rrdd)’’.

Un appui de 20 milliards de francs Cfa de la Banque mondiale est annoncé, dans la foulée, pour le financement du pôle de développement de la Casamance. Ce projet vise, au cours des cinq prochaines années, à réduire la vulnérabilité économique de la région et permettra, ainsi, de redynamiser l’économie locale, de promouvoir la création d’emplois et de consolider la paix. Les réalisations du Programme d’urgence pour la modernisation des axes frontaliers, dénommé Puma, dans le Sud, pourraient être un bon début de solution avec le désenclavement qui devrait débloquer le potentiel économique de la Casamance. Etant entendu, bien sûr, que les ‘‘rebelles’’ affichent les mêmes dispositions d’aller à la paix.

 

EnQuete

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