Boubacar Sèye Président HSF : «Si rien n’est fait, toute cette jeunesse risque d’être enrôlée dans le terrorisme»

Le président fondateur de l’organisation Horizon sans frontières (Hsf) jette un regard critique sur le phénomène de l’émigration. Pour Boubacar Sèye, il faut que les Etats africains travaillent à mettre fin au chômage endémique des jeunes pour ne pas pousser cette couche de la population dans les bras du terrorisme.

Après la mer et ses conséquences fâcheuses, les candidats à l’émigration optent pour le désert. Quelle lecture en faites-vous ?

Ce qu’il faut regretter c’est le fait qu’aujourd’hui, l’émigration est en train d’écrire les pages les plus noires dans l’histoire de notre pays. Elle dévoile des aspects aux conséquences incalculables dans nos sociétés en situation de vulnérabilité chronique. Les drames se répètent aussi bien en mer que dans le désert. Et aujourd’hui, je crois qu’il y a urgence. L’urgence, c’est de trouver des alternatives endogènes et exogènes, ne serait-ce que pour réduire les risques à des proportions tolérables. L’accent devrait être mis sur la formation et la création d’emplois.

L’enjeu est aujourd’hui d’ordre sécuritaire, vu ce contexte géopolitique très tendu miné par la menace terroriste. Donc avec cette vulnérabilité chronique, le chômage endémique des jeunes, la pauvreté cyclique et la forte paupérisation du monde rural, l’accent devrait être mis sur la formation et la création d’emplois. C’est le seul facteur de paix et de sécurité en Afrique.

Quels risques peuvent comporter les circuits d’émigration régulière formés à partir des gares routières internationales ?

Les risques sont énormes parce qu’aujourd’hui, il y a toute une économie souterraine qui charrie le trafic d’armes, de drogue, la vente de produits illicites, le risque de propagation des pandémies. Je parlerais du Sida, des pandémies telles qu’Ebola, la circulation des armes et même aujourd’hui les risques liés au terrorisme du fait de la vulnérabilité. Donc, tous ceux-ci sont des risques qu’il faut évaluer. Et il faut mettre des stratégies de prévention et de gestion de ces risques-là.

Malheureusement, cela se fait avec une bonne politique migratoire. Nous parlons de politique migratoire qui n’existe pas. Si rien n’est fait, toute cette jeunesse risque d’être enrôlée dans le terrorisme parce que vulnérable. Donc, l’Afrique doit pouvoir prendre ses responsabilités, a posteriori le Sénégal, régler le plus rapidement possible la problématique du chômage endémique des jeunes. J’ai même dit qu’une grande partie du Pib de ce pays devrait être aujourd’hui investi dans la formation et la création d’emplois.

Quelle devrait être l’attitude d’un candidat à l’émigration qui se retrouve en Libye, par exemple, où l’Etat n’existe pratiquement pas pour rallier l’Europe ?

Il y a un aspect fondamental que les gens oublient : ces candidats à l’émigration généralement une fois en Libye sont prisonniers des factions rebelles et malheureusement, ils sont vulnérables. Ils sont victimes de beaucoup de violence et personne n’en parle.
Pratiquement, plus de 4 mille migrants subsahariens entrent en Libye chaque mois via le Niger. Mais ce sont des gens vulnérables, ils ne savent pas ce qui se passe. Parce qu’on leur fait croire qu’en Libye, il y a des bateaux. Il y a urgence humanitaire, il faut leur venir en aide. Ils sont enrôlés de force, les embarcations sont parfois formées sur le tas.

C’est pourquoi beaucoup de passeurs aujourd’hui qui sont retenus en Italie sont des Sénégalais. Pour la plupart, ils étaient des pêcheurs qui connaissent un tout petit peu la mer. Donc, qu’est-ce qui se passe ? On se lève une nuit et voilà l’embarcation, alors on leur dit : ’’voilà la navette, il faudrait faire plus de deux heures comme ça et puis, après vous tournez à l’endroit, vous serez en direct de Lampedusa’’. Mais quand tu refuses, on te tue. Donc, ces gens-là ne sont pas des passeurs formés, c’est des trafiquants qui sont victimes de ces situations-là. Et malheureusement, ils ont besoin d’assistance et en Libye, il n’y a pas de gouvernement, il y a une anarchie du fait de l’absence d’institutions.

Même si la route offre plus de garantie que la mer, on peut quand même relever des drames avec notamment des cas de dépression ou de folie, l’avènement d’apatrides, le développement de la prostitution…

Absolument, il faudrait effectivement évaluer ces risques-là. Nous l’avions dit tantôt, il y a toute une économie souterraine qui charrie le trafic d’êtres humains. Vous avez parlé d’une notion très importante, celle d’apatride qui est interdite d’ailleurs par la Convention de 1954. Malheureusement, c’est une grande problématique en Afrique. Il faudrait soulever ce cas-là, ces mouvements migratoires dus pour la plupart à des persécutions systématiques, à la dégradation de l’environnement. Les apatrides, c’est un problème qu’il faut soulever. Il faut les évaluer parce que la notion d’apatride est interdite par la Con­vention de Genève et malheureusement, aujourd’hui, le continent regorge d’apatrides.
Je parlerais même du cas du Sénégal et là aussi il faudrait mettre en exergue ces problèmes et les stratégies de gestion de ces risques de trafic de drogue, d’êtres humains, de terrorisme. Donc ce sont des enjeux qui sont là et qu’il faudrait poser sur la table pour trouver des alternatives par rapport à ces problèmes-là. Et c’est là que nous interpellons les Etats sur une harmonisation des positions migratoires et une convergence fiscale pour lutter contre cela.

Malheureusement, l’Europe s’organise, l’Afrique dort, on ne travaille pas ; l’accent est mis ailleurs. Il y a beaucoup de crises en Afrique liées à des problèmes d’ordre identitaire, politique, la confiscation du pouvoir qui génère des conflits en Afrique. Il faudrait mettre un véritable organe de gestion et de prévention de ces crises-là et gérer cette démocratie basée sur des critères ethno-mathématiques, excessivement dangereux et qui risquent de flamber encore le continent africain.

 Le fait que la vague migratoire venant des pays arabes éclipse celle de l’Afrique peut-elle être source de ralentissement ou de disparition future du phénomène de l’émigration en Afrique ?

On ne peut pas freiner le phénomène migratoire, c’est un facteur d’être humain, d’équilibre social et économique. Aujour­d’hui, les migrants sont estimés à plus de 208 millions et ce chiffre augmente malgré les droits répressifs et oppressifs de 2% chaque année, d’après certains démographes, et il y a d’autres nations.

D’après les démographes, d’ici 2100, plus de 100 mille individus supplémentaires seront attendus sur cette planète. Il y a un risque d’intensification des flux migratoires sous l’aiguillon des changements climatiques, de la pauvreté cyclique qui sévit en Afrique etc. Donc, le défi c’est une meilleure gestion de ces flux migratoires-là, vu ce contexte de globalisation, d’interdépendance et de mondialisation.

Aujourd’hui, il a été démontré que ce ne sont pas seulement les pauvres qui migrent. Il y a plus de 850 millions de personnes qui franchissent les frontières et ce nombre ne cesse d’augmenter de façon exponentielle. Il faudrait lutter pour la gestion de ces crises qui risquent aussi de fragiliser davantage les Etats. Vous avez vu ces crises arabes, ce n’est plus une crise migratoire, mais humanitaire maintenant. Qu’est-ce qui a créé ce problème-là ? C’est la guerre en Irak, en Syrie, en Libye. Il faudrait que les Nations unies revoient les normes en termes de migration internationale. L’intégration aujourd’hui devrait être un processus à double sens qui lie les migrants aux citoyens autochtones dans une relation constructive aboutissant au respect et à la tolérance mutuelle.

Aujourd’hui, l’immigration est un bien nécessaire et l’Europe a un défi face à cela. L’immigration est à la fois un défi et une chance pour l’Europe. Ce qui se passe n’est qu’une gestion hypocrite. L’Allemagne a compris qu’elle a besoin de l’immigration, c’est la raison pour laquelle Angela Merkel a ouvert la porte.

La France trompe les migrants, car elle n’a pas besoin d’immigration, elle a un statut un peu particulier. Le taux de natalité est plus élevé en France que presque dans tous les Etats de l’Ue du fait de la femme immigrante.

Objectivement, est-ce que vous pensez que dans nos pays on doit convaincre nos jeunes en quête de mieux-être à renoncer à leur aventure ?

Absolument. Personnellement, je ne le conseille à personne parce que l’Europe est un mirage. Il y a une crise économique qui frappe le monde entier et j’ai rencontré beaucoup de gens qui sont partis, il y a même des journalistes qui sont partis pour un meilleur devenir.

Le Sénégal est une terre d’immigration du fait de la causalité cumulative et du fait du fort écart entre l’offre et la demande. Ce qui constitue un facteur de déclenchement de l’immigration. Il faudrait une forte sensibilisation pour stopper ces jeunes en vue de réduire ces drames à des proportions tolérables, en mettant l’accent sur la formation et la création d’emplois. Donc il y a des secteurs qu’il faudrait explorer au Sénégal pour retenir ces jeunes. Mais si on ne le fait pas, un enjeu d’ordre sécuritaire est là et toute cette jeunesse risque de mourir en Méditerranée. Et ce qui passe aujourd’hui est une honte pour la communauté internationale. Il faudrait qu’en Afrique les hommes politiques changent. Et c’est là où nous avons dit à l’Ue de revoir cette coopération, car cet argent qu’on dépense pour l’aide au développement, la formation et la création d’emplois ne profite jamais aux ayants droit.

Ce sont les politiciens qui s’enrichissent et les populations souffrent. Malgré les fonds donnés, les drames continuent. Les chefs d’Etat africains plastronnent avec des déclarations de patrimoine estimées à des milliards de dollars. Tout cela devrait être l’objet d’un débat, car en Afrique il faut que les choses changent. Si on sacrifie la force vive du continent, cela devient un danger, car 60% de la population africaine ont moins de 20 ans et ces gens meurent en Méditerranée. Il est temps que cela cesse.

LeQuotidien

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