Boubacar Seye, président d’«Horizons sans frontières» : «La diplomatie étatique a échoué dans le dossier de la migration»

«L’Europe est devenue une forteresse avec des barrières juridiques, politiques et économiques»

Boubacar Seye, président d’«Horizons sans frontières», a fait de l’amélioration des conditions de vie des Sénégalais de la Diaspora, son combat. Dans cet entretien, il livre un diagnostic sans complaisance des difficiles conditions de vie des Sénégalais de la Diaspora et ébauche quelques esquisses de solution. 

Aujourd’hui, quelle est la situation de la diaspora sénégalaise ?

Avec cette situation de crise économique, dans l’ensemble, les Sénégalais de l’extérieur vivent, pour la plupart, dans des difficultés parce qu’il y a l’échec de l’intégration structurelle. C’est la participation aux différentes instances de la vie collective autrement dit l’ouverture dans le monde du travail. Avec la crise économique, la priorité pour la plupart ce sont les autochtones. Aujourd’hui, malheureusement, les Sénégalais de l’extérieur vivent des situations extrêmement difficiles. Mais, la situation qui m’a le plus frappée, c’est que beaucoup de Sénégalais sont dans des situations de dépression et sans assistance. A l’étranger on voit des Sénégalais sans abris qui vivent dans une précarité totale et qui, malheureusement, ne bénéficient d’aucune assistance spécifique. C’est l’exemple, il y a quelques temps d’un Sénégalais tué en France parce qu’il était considéré comme un forcené. Ce genre de situation existe dans beaucoup de pays parce que simplement, ils sont laissés à eux-mêmes, sans aucune assistance. Cela montre le manque de politique migratoire et d’assistance qu’il faut aujourd’hui, au regard de ces Sénégalais-là, en difficulté dans les pays d’accueil.

Qu’est ce qui explique cette situation de précarité dans laquelle vivent nos compatriotes ?

Cela s’explique par un l’échec des politiques migratoires des pays d’accueil. Cependant, il y a deux types d’intégration. Il s’agit de l’intégration structurelle qui est la participation aux différentes instances de la vie collective. Autrement dit, l’ouverture qu’il devrait y avoir dans le monde du travail. Dernièrement un Sénégalais du nom de Mor Sylla a été tué en Espagne. Les gens ont parlé de contrefaçon et qu’il a été projeté. Mais, ils ne doivent pas dire aux émigrés que vous n’avez pas le droit de vivre sous prétexte qu’ils n’ont pas de papiers. C’est ce phénomène qu’il faut combattre. Ils sont à l’étranger, ils n’ont pas de boulot parce qu’ils n’ont pas de papiers. Ils sont venus par la mer et vivent des situations difficiles et il n’y a aucune assistance spécifique ni intégration. L’Etat aurait pu avec une bonne politique migratoire, faire de sa diaspora le moteur de son économie avec la valorisation des produits made in Sénégal. J’ai eu mal quand je suis entré dans un supermarché et que j’ai acheté une mangue à 4 euros (2620Fcfa). Donc, cela montre que nous avons beaucoup de choses à valoriser. Et aujourd’hui, l’Etat du Sénégal aurait pu s’appuyer sur ses fils dispersés avec une bonne politique migratoire, les intégrer et exploiter leurs potentialités pour booster l’économie du Sénégal. Malheureusement, tel n’est pas le cas et les sénégalais de la diaspora vivent le martyr.

La France est en train de tromper le monde entier

Mais, qu’est-ce que les pays d’accueil font concrètement pour les assister, surtout en ce qui concerne les démarches pour l’obtention de papiers ?

Pour la plupart des pays d’accueil cela n’est leur problème. L’Europe est devenue une forteresse avec des barrières politiques, juridiques et économiques. Pour avoir des papiers aujourd’hui, c’est excessivement difficile. Il y a amalgame entre Islam et immigration et cela pose problème. L’Union européenne avait compris que les pays d’origine des immigrants ne faisaient rien pour aider les organisations comme la nôtre. L’immigration est un défi pour l’Europe, le solde migratoire est de moins de 4/1000 en Allemagne qui a une population vieillissante. La position de l’Allemagne n’est pas la même que celle de la France qui est une terre d’immigration et qui n’a pas besoin de migrants. Le solde migratoire est de 1, 600. Ils sont entrain de tromper le monde entier,l’Union européenne a compris cela et leur avait dit, dans un rapport, que si l’Europe voulait maintenir en 2050 le même ratio actif/inactif, il lui faudra recevoir plus de 161 millions de migrants. Pour dire que l’Europe a besoin de migrants. Seulement il faudrait dans ce dossier migratoire, démontrer que l’immigration est un facteur social, économique. Pour ce faire, il faudrait un volet explicatif, éducatif au sein des populations pour montrer l’aspect positif de l’immigration. Malheureusement, les pays ne coopèrent pas. Entre 2007 et 2013, l’Union européenne avait dégagé plus de 900 millions d’euros pour l’intégration des migrants dans l’espace Union européenne. Les pays l’utilisent à d’autres escients, vous avez vu ce qui se passe avec les réfugiés. L’argent est détourné à d’autres fins, les gens parlent mais rien n’est fait. Il y a une grande part de responsabilité des pays d’accueil qui ne font rien pour l’intégration de ces migrants. Au pays d’origine des migrants de se battre. Un pays comme le Sénégal où l’aide des immigrés est supérieure à l’aide au développement, il faut une bonne politique migratoire pour aider ces Sénégalais à s’insérer dans les pays d’accueil.

La montée du terrorisme n’y est-il pas pour beaucoup dans la difficile intégration des immigrés ?

Effectivement ! Il y a beaucoup d’amalgame entre Islam, terrorisme et immigration. Il faut se battre pour lever les amalgames mais heureusement ce qui se passe en France est différent de ce qui se passe dans les autres pays. En réalité, la France veut tromper le monde entier, on parle de déchéance de nationalité. Ce qui est une violation de l’article 15 de la déclaration des droits de l’Homme et de la convention de 1954 sur le statut des apatrides. Ce n’est pas possible de rendre les gens apatrides. Aujourd’hui, les politiciens ont échoué dans leur idéologie. On a une France d’une gauche qui glisse vers l’extrême droite et on nous parle de guerre. Parlons de contradictions de ce dossier parce que dans ce cas, les terroristes seraient des soldats et on appliquerait pas le code pénal mais le code de guerre. Voilà des erreurs faites par des politiciens parce que l’Islam est leur fonds de commerce donc il faut renforcer les amalgames et les immigrés paient. Ce n’est pas parce que l’Europe est chrétienne que l’Islam doit être interdit de séjour. Ce qui s’est passé avec les caricatures Serigne Touba dans «Jeune Afrique» contribue à accentuer la provocation et à renforcer les amalgames et c’est le migrant qui souffre de cela aujourd’hui et personne n’en parle. Il se trouve livré à lui-même. Et particulièrement le migrant sénégalais qui souffre dans beaucoup de pays. Malheureusement, l’absence de politique migratoire renforce cette souffrance dans les pays d’accueil.

Est-ce à dire que la politique du Sénégal en termes d’assistance aux Sénégalais de l’extérieur est inefficace ?

Le terme ministère des Sénégalais extérieur est caduc. Nous, nous parlons de migrations internationales.Aujourd’hui, il faut prendre la migration dans toute sa diversité et dans toutes ses problématiques qui dévoilent des enjeux de paix, de sécurité et de dignité humaine. Si on comprend bien, ce ministère ne prend pas en compte les Sénégalais qui meurent dans le désert ou dans la Méditerranée. Nous, nous parlons de migrations internationales dans toute sa complexité et sa diversité. Regardez ce qui s’est passé avec le Hadj et l’Etat est incapable de nous dire avec exactitude combien de Sénégalais ont péri dans ce drame. Qu’est-ce que le ministère des Sénégalais de l’extérieur a fait pour les Sénégalais qui ont été tués en Europe ? Il n’y a jamais eu de suites dans ces affaires de meurtres, excepté des déclarations intempestives et contradictoires. Il y a eu tour une cacophonie. Aujourd’hui, le secrétariat est supprimé et il a été remplacé par une direction. Mais qu’est-ce qu’une direction peut faire pour les Sénégalais de l’extérieur. On aurait souhaité  une vision beaucoup plus innovante. Il faudrait mettre des orientations stratégiques pour faire de la migration le moteur de l’économie du Sénégal. Le Sénégal est très riche en termes de diversité culturelle et tout ceci aurait pu être mis en œuvre dans le cadre de la migration. Le Sénégal a plus de 42% du taux de migrations intra africaines parce que c’est un pays qui attire par sa stabilité. C’est dans ce sens que nous avions proposé au chef de l’Etat de mettre sur place à défaut d’un ministère autonome, une agence chargée des migrations internationales.

Qu’est-il advenu de ses propositions ?

Elles sont restées en l’état. Le directeur des Sénégalais de l’extérieur met sur les nerfs tous les Sénégalais de l’extérieur. Ses déclarations sont uniquement politiques alors que l’immigration est un fait social. Nous n’accusons personne mais il faut une démarche inclusive pour qu’ensemble nous trouvions des solutions. Ladiplomatie étatique a échoué dans le dossier de la migration. Il faudrait élaborer une diplomatie spécifique aux questions migratoires.

NDÈYE FATOU SECK

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