Birmanie – Rohingyas : les questions clés pour comprendre le conflit dans l’Arakan

Depuis les combats du 25 août dans le nord de l’Arakan, un État côtier situé dans l’ouest de la Birmanie, une centaine de milliers de Rohingyas ont fui vers le Bangladesh voisin. Explications sur un conflit ancien qui prend la tournure d’une poudrière régionale.

Qui sont les Rohingyas ?

Les Rohingyas sont une minorité musulmane de Birmanie, vivant dans l’État de l’Arakan, l’un des États les plus pauvres du pays. On estime leur nombre à 1 million sur une population de 3 millions de personnes dans l’Arakan.

Pour les Arakanais, et la majorité des Birmans, les Rohingyas sont des migrants illégaux désignés par le terme “Bengalis”. L’ancien royaume de l’Arakan, où vivaient bouddhistes et musulmans, a été englobé dans le Raj britannique au XVIIIe siècle. Sur ce territoire à cheval entre le Bangladesh et la Birmanie actuels, le colonisateur britannique a dessiné une frontière en 1937, date à laquelle la Birmanie a été séparée de l’Inde.

Ils y sont “perçus comme des accapareurs de terre”, selon The Straits Times de Singapour, voire comme “de simples insectes à éliminer, comme l’écrit sans détour The Daily Star, le quotidien du Bangladesh. “Ils n’ont aucun droit, ni citoyenneté, ni protection, poursuit The Daily Star, depuis la loi sur la nationalité de 1982, adoptée par la junte militaire qui a dirigé la Birmanie (Myanmar) avec brutalité de 1962 à 2011.

 

Dans les années 1970 et 1990, l’armée birmane a mené plusieurs actions militaires pour pousser les musulmans vers le Bangladesh voisin. L’un des prétextes à ces opérations a été l’afflux de réfugiés venant du Bangladesh au moment de la guerre d’indépendance du pays, en 1971.

Quelle est la raison du regain de tension actuel ?

Le 25 août, des membres de l’Armée de secours des Rohingyas de l’Arakan (Asra) ont attaqué des postes-frontières de la région. À la suite de ces violences, les Rohingyas ont subi les représailles de l’armée birmane, contraignant des milliers d’entre eux à fuir vers le Bangladesh voisin. Plus de 100 000 personnes ont traversé la frontière pour se protéger des opérations des autorités birmanes.

La zone des combats est sous contrôle militaire. La conseillère d’État, Aung San Suu Kyi, a certes refusé jusque-là l’instauration d’un état d’urgence en Arakan malgré l’insistance des autorités militaires et des partis arakanais. Mais elle ne contrôle pas l’appareil militaire. La Constitution rédigée par la junte avant la démocratisation du pays garantit à l’armée les ministères clés de l’Armée, de l’Intérieur et des Frontières, ainsi qu’un quart des sièges au Parlement.Conflit, Birmanie - Rohingyas

Qui sont les membres de l’Asra ?

L’Asra est apparue au grand jour en octobre 2016. Elle avait revendiqué les attaques contre trois postes-frontières autour de Maungdaw, un district situé près de la frontière avec le Bangladesh. Des opérations qui avaient eu les mêmes effets. Selon un rapport des Nations unies, la réaction de l’armée était assimilable à “des opérations de nettoyage ethnique”.

Pour The Daily Star de Dakha, “l’émergence d’un groupe armé” tel que l’Asra semblait “inévitable” au vu du traitement réservé aux Rohingyas en Arakan. “L’Histoire témoigne de la naissance de ce type de groupes”, note The Daily Star, mentionnant “les rebelles tchétchènes ou les Tigres tamouls”. Pour le journal, la lutte des Palestiniens est “l’exemple type d’un conflit né du mépris total d’un peuple et d’une répression contre lui, qui au final a donné naissance à des groupes armés comme le Hamas”.

Pour l’heure, Asra n’est qu’“une bande de jeunes en colère, qui ne sont pas équipés d’armes modernes”. Toutefois, prévient le quotidien, le principal animateur de l’Asra est né au Pakistan et a grandi en Arabie Saoudite, “lieu de naissance du wahhabisme”. 

Des mouvements islamistes tel que l’État Islamique ou Al-Qaida sont à la recherche de groupes de ce genre.”

The Straits Times se fait plus alarmiste : selon ses informations, la contagion internationale serait déjà en cours, puisque des combattants pakistanais et indonésiens, notamment, auraient participé aux combats du 25 août.

Les deux titres s’accordent pour affirmer que le cercle vicieux sera difficile à éviter. “Les actions de nettoyage des villages rohingyas, un euphémisme pour parler de destruction, comme le prouvent des images satellite et l’afflux de réfugiés vers le Bangladesh, constituent autant de moyens dans les mains des groupes radicaux”pour attirer de nouvelles recrues, souligne The Strait Times.

Le gouvernement, de son côté, a dénoncé les militants de l’Asra comme des “terroristes”.

Pourquoi Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, demeure-t-elle silencieuse face à la situation des Rohingyas ?

Ancienne opposante à la junte militaire, devenue conseillère d’État depuis avril 2016, Aung San Suu Kyi a déclaré le 5 septembre que la situation en Arakan était noyée sous un “iceberg de désinformation”.

Cette distance face aux violences contre une population civile colle mal avec l’image d’icône de la démocratie qu’elle a acquise durant les années 1990 et 2000. Retenue en résidence surveillée durant près de quinze ans, elle incarnait alors, aux yeux de l’Occident, la lutte contre le régime militaire.

Mais depuis la prise de fonction du gouvernement formé par son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) après la victoire aux législatives de novembre 2015, elle s’est montrée timorée dans la gestion de la crise en Arakan.

Interrogée à plusieurs reprises sur les graves violations des droits de l’homme perpétrées contre les Rohingyas, Aung San Suu Kyi (parfois via ses porte-parole) “nie ces abus ou botte en touche”, regrette The Mekong Review.

Pour certains, elle apparaît comme une bouddhiste chauvine prête à soutenir les moines extrémistes dont le but est d’expulser les musulmans.”

D’ailleurs, précise le magazine, en 2015, la Ligue nationale pour la démocratie a renoncé à présenter des candidats musulmans aux élections législatives.

Certes, Aung San Suu Kyi a nommé en août 2016 une commission d’enquête sur les Rohingyas présidée par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU. Son objectif : dessiner les pistes pour renouer le dialogue entre les communautés bouddhistes et musulmanes de l’Arakan. La commission Annan a rendu son rapport le 24 août, la veille des attaques de l’Asra. Elle recommandait la révision de la législation de 1982 sur la citoyenneté.

Le silence d’Aung San Suu Kyi est condamné par ses anciens admirateurs. Desmond Tutu et Malala Yousafzai, deux lauréats du prix Nobel de la paix, l’ont appelée à intervenir afin de faire cesser les violences. “Si le prix de votre accession aux plus hautes fonctions de l’État est votre silence, ce prix est trop cher payé”, écrit Desmond Tutu dans une lettre rendue publique le 7 septembre.

Quel rôle peut avoir la pression internationale ?

Longtemps, le conflit en Arakan a été ignoré à l’extérieur de la Birmanie. La lutte contre la dictature militaire focalisait toute l’attention.

Maltraités, les Rohingyas, fuyant à la fois leur pays et les conditions de vie terribles dans les camps de réfugiés au Bangladesh, sont devenus des proies faciles pour les trafiquants d’êtres humains. Nombre d’entre eux sont partis travailler en quasi-esclavage sur des bateaux dans le golfe de Thaïlande ou dans des usines en Thaïlande et en Malaisie.

Le processus de démocratisation qui s’est accéléré en Birmanie en 2012 a renouvelé l’attention internationale sur ce pays. En juin 2012, alors qu’Aung San Suu Kyi, autorisée à sortir du pays pour la première fois depuis plus de vingt ans, faisait une tournée à l’étranger, des violences ont éclaté entre la population arakanaise et les Rohingyas.

Depuis, condamnations et manifestations se succèdent dans les pays musulmans de la région dès que le conflit se réveille.

En Malaisie, le Premier ministre malaisien Najib Razak s’est présenté comme un protecteur des Rohingyas. Une posture qualifiée d’opportuniste par certains commentateurs malaisiens au vu du contexte politique dans son pays. Najib Razak est soupçonné d’implication dans un vaste scandale de corruption. Il tenterait ainsi de s’assurer l’appui de l’électorat traditionnel et religieux.

En Indonésie, c’est le parti extrémiste du Front de défense de l’islam qui a pris la tête des manifestations. Les organisations musulmanes modérées et majoritaires ont appelé à la retenue.

Cette mobilisation internationale “peut avoir involontairement joué un rôle dans l’exacerbation des tensions entre les Rohingyas et les Arakanais. Ces derniers pensant que la situation a été mal représentée”, alerte The Diplomat. En effet, les Arakanais estiment que leurs propres conditions de vie ne sont pas prises en compte.

 

Courrier International

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