Baba Maal, lead-vocal du Dande Leñol : «J’ai refusé d’arrêter après le décès de mon fils»

Il a 30 ans. Le groupe Dande Leñol a acquis cette maturité après des années d’histoire et d’abnégation. Que d’obstacles surmontés ! Que de défis relevés ! Et l’avenir reste toujours une étape à conquérir pour ce groupe. Aujourd’hui, Baba Maal retourne sur les terres de ses heureux souvenirs. En tournée dans les contrées les plus reculées du Fouta, l’enfant de Podor revient pour retrouver la chaleur du Sénégal des profondeurs. Ici, il a participé à l’érection d’infrastructures de base pour l’épanouissement social des populations. Les concerts gratuits ont financé des écoles, des dispensaires pour participer aux efforts de développement de son pays. C’est la destinée de son groupe qui n’a jamais privilégié la scène internationale au détriment des prestations nationales. 

A 62 ans, il a toujours cette fièvre musicale. Pendant plusieurs jours, il a sillonné les patelins les plus enclavés de la région de Matam pour la célébration des 30 ans de Dande Leñol. Croisé dans un hôtel à Ouro Sogui, Baba Maal parle dans cet entretien de sa lutte contre la pauvreté, de ses relations avec la famille de Tidiane Anne et des projets de son groupe. Et aussi, il raconte le dernier drame qu’il a vécu avec la disparition de son unique enfant. Mais il l’a surmontée pour continuer à relever les défis. Comme toujours.

Entretien

El Hadji Baba Maal, vous êtes à Ouro Sogui depuis mardi soir. Peut-on savoir l’objet de votre visite ?

Je suis dans la région de Matam pour une série de concerts, deux prestations au village de Hombo et deux autres à Diéla. Pour le village de Diéla dans le «Dande Mayo», c’est une tradition depuis plus d’une dizaine d’années, un partenariat très fructueux a été noué avec l’Association pour le développement du village, avec un groupe de personnes qui vient chaque fois apporter son soutien aux Blues du fleuve, mais également avec qui nous avons des liens de parenté très solides. D’où l’organisation des concerts pour le développement.

Quant à Hombo, nous cherchions un village pour pousser ce qu’on avait commencé au village de Mbélone. En 1982, durant les années de la menace de la sécheresse, il y avait une insécurité alimentaire, on avait choisi avec Oxfam et des journalistes de visiter des sites au Sénégal et en Mauritanie. Notre choix s’était porté sur Mbèlone, un village que nous avions trouvé dans d’énormes difficultés, il y avait un manque d’eau récurrent, les puits étaient asséchés, pas de possibilités pour les femmes d’avoir des jardins potagers. Et il n’y avait pas d’écoles. 

Ainsi, sensible à leur problème, je suis reparti à Dakar pour récolter des fonds en organisant un concert avec des Vip au King Fahd Palace. Avec Oxfam, on est revenu pour les soutenir à revaloriser leurs puits pour avoir accès à l’eau potable. Grâce à cette collaboration, ils ont réussi à régler beaucoup de leurs problèmes. Et pour Hombo, je suis venu tester le terrain pour voir s’il serait possible de faire la même chose qu’on avait fait à Mbélone, surtout que nous célébrons les trente ans de Dande Leñol, il faudrait qu’on remette sur pied ces collaborations sur le plan humanitaire.

Qu’est-ce cela représente pour vous d’être tout le temps au contact des populations, parce que depuis le début de votre carrière vous multipliez des concerts dont les recettes sont reversées aux organisations de développement ?

Nous le faisons vraiment exprès. Maintenant, c’est le rôle qui nous a été assigné par les populations. Ce sont ces associations de développement qui nous ont demandé de jouer au stade Amadou Barry ou au Théâtre national Daniel Sorano. Ce ne sont pas des promoteurs. L’argent gagné a toujours été utilisé pour subvenir aux besoins des populations. A Doué (village situé dans le département de Podor) par exemple, pour construire le mur de clôture des cimetières, dans d’autres localités des salles de classe, entre autres… Et c’est comme cela que le système des Nations unies a compris qu’il pouvait mettre la culture au service du développement, et le Dande Leñol (son orchestre) et les Foutankés (habitatants du Fouta) pouvaient rester comme un exemple qu’il fallait mettre en exergue pour que d’autres artistes, à travers le monde et dans leur domaine, puissent collaborer avec leur communauté et faire comme nous. 

Vous avez également créé le mouvement «Nan K» ; c’est quoi exactement ?

«Nan K» est un mouvement pour le développement dont l’idée de la création m’est venue à Londres dans une campagne de sensibilisation pour la lutte contre la pauvreté dans le continent africain qui regorge de toutes les potentialités. 

Avec Oxfam, nous avions visité le Gorgol (capitale d’une région en Mauritanie), nous avions vu des femmes qui travaillaient sur la terre, des champs de maïs qui étaient asséchés par manque d’accompagnement et de modernisation. Au sommet du G8, nous avons dit aux Présidents que nous attendions des actes forts puisqu’on parle de l’Afrique. Pour moi, le développement c’est l’agriculture, l’élevage et la pêche avec la culture au centre, mais également la technologie. C’est ainsi qu’avec ces cinq leviers, nous y avons retrouvé «Nan K» qui, dans notre langage courant (Poular), signifie «Entendez».

En ce sens, on peut dire que votre idée rejoint celle du Président Macky Sall avec son fameux Plan Sénégal émergent (Pse) ? 

Oui ! Toutes les bonnes idées se croisent sans que l’on se concerte. Si Macky Sall a de la bonne volonté, que celle-ci m’anime et qu’on a tous les deux les mêmes projets pour le Sénégal et pour le Fouta, je pense qu’on doit avoir les mêmes ambitions pour les populations. Dans tous les cas, je me retrouve dans le Pse tel qu’il est expliqué.

Le 14 avril dernier, on a commémoré le quatorzième anniversaire de la disparition tragique de votre ami Tidiane Anne. Comment l’avez-vous vécu ?

Je suis très concerné par l’héritage que Tidiane Anne a laissé, son engagement pour la promotion de la culture pulaar, de la langue pulaar elle même et aussi du développement. Comme moi, on a toujours pensé que le développement ne pouvait se faire sans la culture. Je suis toujours lié à sa famille, presque toutes les semaines je reçois surtout son fils aîné Mamoudou, qui est venu d’ailleurs me faire part de la commémoration de son décès à Gamadji (village natal de l’ancien reporter de la Rts). 
Les enfants de Tidiane me considèrent comme leur papa, ils me demandent la permission pour avoir mes bénédictions sur tout ce qu’ils entreprennent. On s’interpelle sur leur question d’éducation, mais aussi des associations créées à l’honneur de Tidiane Anne. Je reste convaincu que l’œuvre de Tidiane ne mourra jamais, sa voix est celle de Mame Abdou Aziz, de Nelson Mandela, c’est à nous autres qu’il incombe de jouer notre partition dans la vie sur terre.

Vous avez récemment perdu votre fils Omar. Beaucoup de personnes craignaient que Baba Maal marque une pause ou arrête un moment sa carrière musicale. Où est-ce que vous avez puisé cette force pour revenir aussitôt sur scène ? 

(Fataliste). On est des êtres humains. J’ai, durant ma carrière, rencontré pas mal de difficultés que je suis parvenu à surmonter. Il y a des exemples concrets qui sont là, par exemple El hadji Seydou Nourou Tall et Mame Abdou Aziz qui ont vécu les drames avec leurs fils qui sont disparus, mais cela ne leur a pas empêché de continuer. 

Plusieurs jeunes se retrouvent en moi comme leur père et je n’ai pas le droit de les sacrifier, si j’en avais deux ou trois dans ma famille, la perte de l’un d’entre eux ne m’empêcherait pas de continuer à travailler pour les autres. C’est aussi un signal aux autres pour leur faire comprendre que l’homme est toujours plus fort quand il est au-dessus de ses problèmes. En plus, je ne devais pas sacrifier tout un ensemble, le Dande Leñol. Ce sont des pères de famille qui ont même demandé qu’on s’arrête un peu. Mais j’ai refusé.

Parlons des Blues du Fleuve qui sont devenus un évènement important. Cette année, la ville de Matam était pressentie pour recevoir ce grand rendez-vous culturel. Qu’en est-il exactement ?

Je voulais qu’on le fasse cette année à Matam, mais par la force des choses, nous célébrons les 10 ans des Blues du Fleuve et ça avait commencé à Podor. Nous nous sommes dit qu’il va falloir qu’on le fasse à Podor. 
Surtout si l’on sait qu’on n’a pas déroulé l’année dernière à cause d’Ebola, mais également à cause des problèmes politiques que la ville a connus. Ainsi, on ne pouvait pas organiser le festival sans la Guinée dont les frontières avec le Sénégal étaient fermées. Mais l’année prochaine ou l’année d’après, je pense qu’on reviendra à Matam, car nos partenaires et moi-même avions bien aimé l’étape de la onzième région.

Il semblerait également que vous envisagez de mettre en place un groupe de presse à Ndioum (département de Podor). Qu’en est-il réellement ? 

Je ne sais pas comment cela va se constituer, mais je dois vous dire que oui. Nous envisageons de créer un groupe de presse. On en avait fait avec Diamano Fm, c’est tombé à l’eau. Cette fois-ci, on veut revenir avec quelque chose de beaucoup plus solide et plus efficace. Même avec nos partenaires, nous savons que c’est un devoir pour nous de l’avoir. Le mouvement «Nan K» également a besoin de support de communication pour le développement.

Aujourd’hui, des artistes travaillent aux côtés du chef de l’Etat. Et si le Président Macky Sall vous appelle pour vous proposer un poste. Vous en dites quoi ?

(Eclat de rires). Attendons de voir qu’il m’appelle, je verrai ma position.

Djiby DEM

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