Aminata Touré, ancien premier ministre raille les «perdants» : «Comme la grenouille qui a voulu se faire plus grosse que le bœuf, le front du Non a fini par éclater»

L’OBS – Sur ce coup-ci, elle n’est pas mimi avec les perdants du référendum du 20 mars. Aminata Touré, l’ancien Premier ministre, n’est pas tendre dans cet entretien-express avec les chefs de file du camp du Non, perdants de la récente joute électorale. «Ils ont bu la tasse», s’amuse-t-elle, calfeutrée dans un moelleux fauteuil à son domicile. Sur le taux de faible participation, les achats de consciences, le dialogue avec l’opposition, la victoire du Oui…, Mimi ironise, raille, descend en flammes le Non.

On a parlé à un moment donné de revanche de Mimi Touré sur Khalifa Sall à Grand Yoff, avec cette victoire du Oui, mais de manière générale, comment interprétez-vous les résultats du référendum du 20 mars dernier ?

Clairement, le camp du Non a bu la tasse. Pas de doute. Evidemment, il s’agissait d’un référendum à travers lequel le Président Macky Sall proposait 15 points de réformes aux Sénégalais. Des points qui feront avancer la démocratie, mais le camp du Non ne s’intéressait pas à ces 15 points et voulait transformer ce référendum en test de popularité pour le Président Macky Sall ; mal lui en prit d’ailleurs. Malgré toute la campagne de désinformation, de désintoxication, que n’a-t-on pas dit sur l’homosexualité, la perte des valeurs musulmanes ? Et voilà, cela s’est transformé en véritable test d’impopularité pour le camp du Non. S’il cherchait à se compter, c’est fait. Ils savent ce qu’ils représentent dans le cœur des Sénégalais. Cela, je pense que c’est une leçon d’éthique que les populations ont administrée à certains politiciens, qui pensaient que les Sénégalais sont de grands enfants, qu’il s’agissait de leur servir de fausses informations pour qu’ils se détournent de l’essentiel. Les Sénégalais ont su faire la part des choses, la grande majorité (62,9 %) a  considéré que les réformes sont de nature à faire avancer notre démocratie.

Finalement, le vainqueur de ce référendum c’est qui ? Les personnalités qui se sont distinguées dans leurs fiefs respectifs ou le peuple sénégalais ?

C’est le peuple sénégalais qui est vainqueur. Qui dans une période relativement courte d’ailleurs, a compris le sens des réformes. Evidemment, le camp du Oui s’est efforcé d’aller à la rencontre des Sénégalais, de leur expliquer le contenu et ils ont compris. Il n’y a rien d’étonnant, parce que notre peuple est un peuple vif d’esprit. Maintenant, les grands perdants, c’est le camp du Non. Pour eux, il ne s’agissait pas d’un référendum, mais du premier tour de la Présidentielle. Eh bien, voilà, si c’était une élection présidentielle, le Président Macky Sall allait passer avec 62,9%, puisqu’il s’agissait de la majorité présidentielle et de l’opposition coalisée.

«Ce taux de participation au référendum rentre dans les cordes démocratiques»

Le taux de participation est de 38,26 %, ce qui est relativement faible, est-ce que cela ne gâche pas la fête des vainqueurs ?

On me dira que la France n’est pas le Sénégal. Mais la France, lorsqu’elle a voulu passer du septennat au quinquennat en 2000, le taux de participation était de 30,19%. La France, c’est pourtant un peuple qui sait voter, une démocratie ancienne. Voilà que nous, sur un point identique, nous avons un taux de participation de 38,26%. Ça, ce sont des faits, je m’attache aux faits. Je reviens sur d’autres chiffres : à Dakar, pour des élections locales, très disputées, le taux de participation était de 37,68 %, légèrement plus haut au niveau national, avec 41%. L’on reste dans la même fourchette, mais à Dakar, il y a eu moins de participation aux Locales qu’au référendum. Il faut donc que les gens ne s’amusent pas avec les chiffres à des fins politiciennes. Aux Législatives de 2012, le taux de participation était de 37%, il s’agissait quand même de choisir les représentants du peuple, avec une charge émotionnelle, eh bien figurez-vous que le taux de participation est inférieur au taux qu’on a eu au référendum. Donc, c’est un taux qui rentre dans les cordes démocratiques.

N’empêche madame, il y a 807255 Sénégalais qui sont contre le projet de réformes, n’est-ce pas du sable sur le couscous ?

Il y a eu 1357 412 de Sénégalais qui ont voté pour le courant du Oui. Parce qu’il est important que les politiciens pratiquent la vérité. C’est une question d’éthique et ça, c’est un chiffre avéré. L’autre analyse, c’est que nous avons gagné 42 départements sur 45. C’est la réalité. Ç’aurait été des élections législatives, on aurait un nombre important de députés et eux se retrouveraient entre dix et douze. C’est ça le rapport de force. Et des départements qui étaient tenus par l’opposition, département de Kébémer, remporté par le Oui, département de Thiès. Je vais revenir sur le président du Conseil départemental de Thiès, qui dans ses grandes envolées lyriques qu’on lui connaît, demandait au Président de démissionner, je lui signale qu’il est le président du Conseil départemental et qu’il a été battu au niveau du département. S’il parle de la ville de Thiès, le maire de Thiès porte un autre nom. Donc le département de Thiès est dans l’escarcelle du Oui, comme les départements de Ziguinchor, de Dakar, c’est ça la réalité.

Idrissa Seck parle d’agressions de toutes sortes, d’achat de consciences pour contester la suprématie du Oui…

On va s’arrêter sur M. Seck. J’étais Premier ministre, j’ai perdu dans ma commune en 2014. J’avais certainement plus de moyens que maintenant, je n’ai pas de budget. Cet argument, c’est un argument de mauvais perdant. Quand eux ils gagnent, il n’y a pas d’achat de consciences, quand le pouvoir gagne, il y a achat de consciences. Je mets au défi tout le monde d’aller mettre la main sur des cas d’achat de consciences. C’est une arlésienne. C’est un argument de mauvais perdants, de gens qui ont bu la tasse. Je leur conseille de saluer la victoire du Oui, de reconnaître que le président de la République est largement majoritaire dans le pays.

«Les gens du Non ont bu la tasse, ils n’ont qu’à sortir de l’eau…»

Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que le Président Macky Sall reçoive les leaders de l’opposition pour discuter des 15 points de la réforme ?

Bien sûr. Le Président est prêt à discuter sur tous les points du référendum. Voilà, il y a eu une échéance dépassée, et chacun sait désormais ce qu’il pèse. Comme la grenouille de la Fontaine, qui a voulu se faire plus grosse que le bœuf, le front du Non a fini par éclater. Chacun connait sa place, il faut revenir à une situation normale où l’opposition discute avec le pouvoir. Il n’y a pas besoin d’avoir des aigreurs pendant plus longtemps que ça. Voilà, quand on boit la tasse, on sort de l’eau et puis voilà, c’est tout.

Avez-vous reçu des félicitations de Khalifa Sall, parce qu’à Guédiawaye, Malick Gakou a félicité le camp du Oui ?

Il parait qu’il nous a félicités par voie de presse. Mais il faut dire aussi que c’est un bon compétiteur. C’est comme ça. C’est fini et on avance.

On a vu lors de ce scrutin, l’implication d’acteurs de la société civile, est-ce que cela a eu l’effet escompté ?

Je voudrais appeler nos amis de la société civile à revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire rester à équidistance des différents partis du pouvoir et de l’opposition, pour pouvoir jouer ce rôle de médiation qu’on attend d’eux, au lieu d’être dans des positions de parti pris où ils deviennent des partis politiques de fait. On a vu des organisations rappeler certains des leurs membres à l’ordre. J’ai vu la Raddho (Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme) le faire. Et ça, je pense que c’est dans l’intérêt de la société civile. Parce que tout pays a besoin d’une société civile indépendante, équidistante. Malheureusement, une partie de celle-ci s’est mêlée du jeu politicien et l’a appris à ses dépens.

MOR TALLA GAYE

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