Affaire des munitions et de la drogue : INSÉCURITÉ DANS L’ARMÉE SÉNÉGALAISE

Le vol de munitions est une piqûre de rappel à l’Armée qui ne doit pas dormir sur ses lauriers, sinon c’est tout le système sécuritaire qui risque de s’effondrer.

A quoi tiennent le salut et la sécurité d’un pays ? Parfois à un rien du tout. Il a suffi d’un banal contrôle de routine de la Gen­darmerie nationale, loin de la capitale, pour mettre à jour un trafic d’armes d’une ampleur encore insoupçonnée dans ce pays.

Les informations livrées par les journaux L’Observateur et Libération du week-end et du lundi derniers font état d’une énorme quantité de munitions saisie alors qu’elle prenait la direction de la frontière, vraisemblablement pour la Mauri­tanie.

Le plus inquiétant dans l’affaire est la réaction de la Dirpa, dont le commandant parle de «déclarations d’une personne non habilitée», alors que l’Armée, dont les arsenaux ont été pillés, n’était pas informée de ces vols dont se rendait coupable l’un de ses éléments. Comment des milliers de munitions ont pu franchir les portails des garnisons militaires de Dakar, et se retrouver transportées sur les routes sans que l’état-major des Armées n’ait pu être alerté ni, à plus forte raison, mobilisé les services de renseignement militaire pour traquer les coupables ?

Cette affaire peut être mise en relation avec la disparition des drogues saisies au large des côtes sénégalaises par la Marine nationale le mercredi 30 octobre dernier. La Dirpa, service de communication de l’Armée nationale, avait claironné fièrement que les garde-côtes, en patrouille à bord du patrouilleur Fouladou, ont saisi une quantité de cocaïne estimée à 1 260 kg, et arrêté des ressortissants de divers pays qui voyageaient avec cette marchandise estimée à des centaines de milliards de francs Cfa. Néanmoins, lorsqu’il s’est agi de présenter la drogue aux responsables des autres corps de sécurité, à savoir la douane, la gendarmerie, l’Office central de répression et de lutte contre le trafic des stupéfiants (Ocrtis), la quantité annoncée au départ a été réduite de plus de 500 kg.

Pour camoufler l’injustifiable, des voix commencent à s’élever pour prétendre que le comptage initial avait gonflé de manière erronée les quantités saisies. On ne peut nous faire facilement avaler que dans tout le corps de la Marine nationale, il ne s’est pas trouvé de balance assez juste pour peser les quantités de cocaïne, au point de faire une erreur de plus d’une demi-tonne…

Quelle que puisse être la vérité dans ces affaires, les Sénégalais devraient être inquiets. Nous avons toujours cru que notre pays pouvait être un havre de paix et de sécurité dans un environnement rongé par l’insécurité liée aux menaces jihadistes d’abord, et ensuite par la boulimie du pouvoir qui saisit certains dirigeants des pays voisins qui créent des conflits chez eux, dont les conséquences pourraient même déboucher dans nos frontières. Notre sentiment de confort et de sécurité est souvent tiré de la confiance que nous avons eu en la stabilité de nos institutions politiques et administratives ainsi que, et surtout, au professionnalisme de nos forces de défense et de sécurité.

La valeur de l’Armée sénégalaise a depuis longtemps été reconnue par tous. Ce n’est pas aux organisations comme les Nations unies, la Cedeao et autres, qui font souvent recours à nos soldats, que nous allons apprendre à quel point les jambaars sénégalais tiennent à leur devise : «On nous tue, mais on ne nous déshonore pas».

Or ces deux affaires nous montrent que nous nous sommes peut-être trop longtemps endormis sur nos lauriers.

L’Armée sénégalaise peut-elle vraiment avoir échappé aux maux qui gangrènent la société sénégalaise dans son ensemble ? Le laxisme, le désordre, le manque de sé­rieux, et disons-le aussi, l’esprit de facilité et la recherche du gain facile qui minent la société peuvent-ils vraiment rester hors des casernes, quand on sait que ces bidasses sont nos frères et sœurs, nos enfants et nos parents ? On a vu qu’ils ne sont pas préservés des démons de la politique, au point qu’un capitaine a été radié pour avoir exprimé des ambitions présidentielles.

Le vol des munitions signale que d’autres démons y ont également fait leur apparition.

Qui sait à qui étaient destinées les munitions saisies à Pire ? Le soldat soupçonné en était-il à son premier coup ? Quelle garantie pourrait-on avoir que ces armes ne se retrouveraient pas dans un prochain jour en train de viser nos soldats combattant les jihadistes au Mali, dans le cadre de la Minusma ? Qui peut savoir jusqu’où peuvent aller des soldats qui ont décidé de piller leur propre armurerie afin d’alimenter des groupes clandestins ?

 

Et pour en revenir à la relation avec les quantités de drogue saisies ces derniers temps, jusque sous le contrôle de la Marine nationale, tout le monde sait que c’est ce trafic de drogue dure qui alimente les différents conflits de par le monde. La cocaïne a fait de certaines localités du Mexique des zones de non-droit. Les Américains avaient lancé une opération commando dans les eaux de Guinée Bissau pour mettre la main sur le général commandant des Forces armées Antonio Indjai, et son acolyte, le général Bubo Na Tchuto, qu’ils soupçonnaient de se livrer à un trafic de cocaïne qui alimentait le territoire américain.

Ces officiers, ainsi que leurs complices civiles, avaient pendant longtemps mis leur pays sous coupe réglée, en faisant quasiment un narco-Etat.

Le Nord du Mali s’est retrouvé dans la même situation à la fin du règne de Amadou Toumani Touré. En novembre 2009, un avion mystérieux, transportant de la drogue, a été brûlé à Gao par des trafiquants qui avaient fini de transborder sa cargaison par ailleurs. On avait retrouvé des complices des trafiquants parmi les notabilités du nord du pays. On a vu depuis lors ce qu’il en est devenu de ce pays ami. Si l’Armée et l’Administration sénégalaises ne sont pas reprises en main avec poigne, si la chienlit s’installe dans les casernes, ne pourrait-on craindre de se retrouver dans une situation similaire ?

Mohamed Guèye – Le Quotidien
mgueye@lequotidien.sn

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